Résumé: Laon, 1999. Basile est un homme ordinaire, entre deux âges et esseulé, qui vit encore avec sa mère retraitée. Employé à l'état civil à la mairie, il partage son temps libre entre son atelier de peinture, ses tentatives (infructueuses) pour trouver une compagne via une agencematrimoniale et, surtout, la méditation sur ses
origines. Le père que Basile n'a jamais connu, en effet, serait un Américain dont il ne subsiste que le prénom, Henry, autrefois soldat à la grande base militaire U.S. toute proche, et démantelée depuis. Or le maire de Laon
organise une grande soirée de vétérans, où sont invités tous les anciens de la base américaine. Henry sera-t-il du nombre ?
B
asile est un artiste peintre solitaire entretenant une passion obsessionnelle pour les Etats-Unis, à tel point qu’il est devenu incapable de peindre autre chose que New-York. Ses toiles s’entassent dans son atelier, une pièce dans la maison de sa mère, sans jamais trouver d’acheteur. Il a bien pensé faire carrière à Paris mais en est vite revenu pour s’installer dans sa ville natale : Laon. Basile n’a jamais connu son père mais il sait qu’il est américain, alors il cherche dans ses tableaux un moyen d’entretenir une relation avec cet inconnu.
Gabrielle Piquet décrit avec délicatesse et précision la complexité des rapports humains et les ravages entraînés par les secrets de famille. En refusant de répondre aux interrogations de son fils sur ce père physiquement absent, la mère de Basile alimente le caractère obsessionnel de ce dernier qui se renferme au fil des années et finit par errer dans sa bulle comme une âme en peine. Après la seconde guerre mondiale, une base américaine s’est installée à Laon (petite ville de Picardie) pour reconstruire la cité dévastée. La population locale garde essentiellement de ce passage des « enfants de l’envie ». Basile est l’un d’eux et l’impossibilité d’en savoir plus sur son père le pousse à fantasmer un pays et une figure paternelle hors du commun. Bien sûr, l’intrigue ne tient pas à ce simple constat de manque et c’est avec fluidité que l’auteur nous guide dans une histoire familiale complexe et tourmentée.
Cette bande dessinée relate également un phénomène historique assez peu connu ou du moins rarement développé dans les fictions. Cette ville envahie par les militaires américains garde des sentiments très mitigés envers ses sauveurs/envahisseurs. Ils sont à la fois respectés pour les richesses financières qu’ils apportent à la municipalité, admirés car ils sont beaux et puissants, mais aussi méprisés pour leur arrogance et leur communautarisme extrême. Leur présence a, en tout les cas, forgé l’identité de la ville.
Les dessins sont précis, sans fioritures et ce procédé semble permettre à l’illustratrice d’exprimer des sentiments très forts. La tristesse, la colère, le désarroi, la folie sont parfaitement représentés par quelques traits et des visages vides. Le graphisme possède également l’originalité de rendre parfois les personnages transparents - l’environnement ou les autres protagonistes les traversent - leur conférant un aspect de fantôme et procure un caractère chaotique au monde dans lequel ils évoluent. La sobriété des images est accompagnée par des phrases souvent courtes, le choix des mots prime sur les envolées lyriques. Ces deux qualités superposées donnent une grande justesse de ton et un récit poignant.
Les enfants de l’envie s’inscrit brillamment dans la collection Ecritures de Casterman. Une belle histoire tout en subtilité.
A découvrir aussi, Trois fois un , très bonne adaptation de trois nouvelles du recueil Tout à l’ego de Tonino Benacquista.