Résumé: Deux jumelles naissent à Hong Kong de père inconnu. L’une d’entre elles, Jade, est venue au monde presque aveugle, avec des yeux entièrement blancs qui ne lui permettent qu’une vision extrêmement restreinte. Mais au fil du temps, pour compenser ce lourd handicap, l’enfant va développer un rapport au monde ludique, excentrique et provocateur, avec la complicité de sa soeur Sophie et de Philippe, un ami français de la famille qui va progressivement jouer auprès des jumelles un rôle de mentor, en lieu et place du père absent. Il initie notamment Jade au maniement de l’appareil photo numérique qui, par l’entremise de son viseur vidéo, lui offre un substitut de vision humaine.
On suit dès lors le surprenant parcours de cette personnalité atypique et attachante. D’abord enfant non conformiste et parfois presque violente, au point de s’infliger des blessures volontaires qui sont autant de manières d’inscrire dans sa chair la configuration de son environnement, Jade deviendra une adolescente sensible puis une adulte qui fascine par sa personnalité complexe, étonnant mélange d’énergie, de volonté et d’étrangeté. Le portrait intense d’une guerrière qui n’a jamais lâché prise ni jamais renoncé à être elle-même, quel qu’en soit le prix.
U
ne mère célibataire donne naissance à deux petites filles, "l’une des deux va demander plus d’attention que l’autre".
- "Vous êtes le père ?
- Non… Il est parti quand il a appris qu’elle était enceinte."
Jade ne voit pour ainsi dire rien, sauf de très près. Avec le temps et ses proches, elle apprend à apprivoiser, tant que faire se peut, ce handicap. Philippe, un ami de sa mère, tient un rôle important et canalisateur auprès d’elle, notamment lorsqu’elle joue de sa spécificité, à sa manière, inquiétante pour son entourage. Comme personne d’autre, il la comprend et, les années passant, c’est lui qui l’aide à surmonter les frustrations intellectuelles liées à ses limites.
L’auteur emprunte le sentier de la différence, déjà maintes fois parcouru par d’autres, mais en lui conférant un cheminement propre qui retient l’attention et laisse présager d’un album dans la lignée de son précédent (Ça ne coûte rien). Cela est d’autant plus vrai qu’il prend le temps de dérouler lentement son récit et qu’il lui offre un dessin d’une grande sobriété, littéralement au service de la narration ; sentiment qui se trouve renforcé par la bichromie.
Ce livre contient de fort belles choses, notamment une scène sur la confiance et la prise de responsabilité qui est remarquablement conduite. Las, la dernière partie du récit prend une tournure improbable, proche d'un grand n'importe quoi, et se pose en total décalage avec ce qui a précédé. Cette bascule incompréhensible, d'autant plus qu'elle se révèle très dispensable, laisse pantois tant elle n'apporte rien d'autre qu'un amer sentiment de gâchis. Une question reste alors en suspens, éludant pour ainsi dire le reste : pourquoi ?