L
ot, 1960. Et de trois ! Ça fait maintenant trois femmes retrouvées mortes au fond de l’écluse en moins d’une année. La population a peur et la pression monte pour la police qui semble patauger. Le maire a beau dire que l’enquête avance et que deux nouveaux inspecteurs vont venir spécialement de Cahors, les gens sont vraiment en colère. Surtout qu’un coupable, il y en a un au bourg : Octave, ce géant un peu simplet qui sert d’éclusier. Lui, il est toujours au bord de l’eau et allez savoir ce qui se passe dans sa tête de demeuré...
Pierre Pelot, Jean Vautrin ou Georges Simenon ? Non, Philippe Pelaez ! Compliment à part, le scénariste d’Enfer pour aube signe avec L’écluse un véritable polar social dans les règles de l’art. Un village choqué par des crimes affreux, des soupçons et des vieilles rancœurs, un suspect idéal, la table est mise pour un récit âpre et une galerie de portraits sans concession. C’est exactement le cas et, passé outre les quelques maniérismes d’écriture (l’insistance sur l’accent et le parler du crû en particulier), l’immersion est totale tant la psychologie et les dialogues s’avèrent au cordeau. Entre atavisme et pression sociale, le scénario ne laisse pas indifférent et prend aux tripes. Mieux encore, finement construite et développée, l’intrigue arrive à surprendre jusqu’à l’implacable conclusion choc. Du très bel ouvrage.
Depuis Le vieux Ferrand et, plus récemment Lucienne, Gilles Aris a démontré qu’il connaissait les arrières-pays et les petites localités provinciales. Avec L’écluse, il est donc en terrain connu et ça se voit. Logiquement très axée sur les personnages, la mise en scène fait néanmoins la part belle aux vieilles pierres rassurantes et à ce canal longiligne d’où semble venir tous les malheurs. Dans ce cadre parfaitement croqué, le dessinateur anime une distribution aux faciès anguleux et aux silhouettes trapues. Ce style semi-réaliste, qui peut rappeler celui de Laurent Verron, se montre expressif et totalement adapté pour exprimer les innombrables émotions qui traverse cette fable tragique.
Sous ses allures de bande dessinée classique, L’écluse est quasiment un roman graphique – roman policier serait plus juste - au premier sens du terme. Dans tous les cas, il s’agit d’un excellent album de genre réalisé avec talent et attention.