Résumé: Eté 1984, un vieillard s'éteint dans le service de gériatrie de l'institut pour la santé mentale de Mendota, USA. Dans cette région sauvage et désolée du Middle West, nul n’aurait pu oublier le nom de cet individu, considéré depuis les années 1950 comme le plus grand monstre que ces territoires aient jamais engendré. Un chasseur ayant voué un culte morbide à une mère fanatique, possessive et morte... Un être asocial et frustre, profondément marqué par les histoires de cannibales et de pilleurs de tombes.
E
d Gein ou l'archétype du monstre issu de l'Amérique profonde. Personnalité asphyxiée par l'autorité d'une mère plus qu'autoritaire et bigote qui juge la femme immorale et réduit l'homme au rang de pêcheur, « socialement et émotionnellement retardé », il ne sera pas condamné à la peine capitale pour les crimes et les atrocités qu'il a commis. Jugé irresponsable. Une dizaine d'années plus tard, il revient devant la Cour. Un journaliste, sociétaire anonyme de la rubrique Faits divers, suit ce nouveau procès. L'occasion pour le jeune homme d'avoir un nouvel exposé des faits mais aussi de croiser à nouveau celui qu'il n'a pas oublié.
Gein est un cas à part. Ses « exploits » ont fasciné et horrifié l'Amérique sans qu'on ait nécessairement retenu son nom ailleurs. Mais si l'on parle de dépeçage, de tannage de peau humaine et de pervers qui s'en accoutre, c'est l'image du Leatherface de Massacre à la tronçonneuse qui surgit. S'il est question d'un fils, meurtrier, incapable de s'émanciper de l'emprise de sa mère et qui scella les portes des pièces de la maison qu'elle fréquentait le plus, c'est celle de Norman Bates dans Psychose qui apparaît. Gein continue d'être une source d'inspiration hors norme dans le registre du sordide.
Dobbs choisit pourtant de ne pas jouer sur ce registre, ni sur celui du gore à outrance. Ni tout à fait enquête d'investigation, ni véritable biographie du tueur, la voie retenue emprunte bien un peu à l'un et à l'autre mais elle ajoute une touche de fiction à cette approche hybride. Des extraits d'audience pour revenir sur le passé, une entrevue avec un clinicien pour mieux cerner le personnage et tenter de comprendre comment sa responsabilité s'est effacée dès lors que son portrait psychologique a été tracé, et enfin l'entrevue, dénuée de violence et de crainte, entre le pigiste et Gein. Cette construction permet de livrer, alternativement, en plusieurs épisodes, des séquences relatant l'enfance du petit Ed, les étapes jusqu'au passage à l'acte puis la découverte de l'antre et des actes du "Boucher de Plainfield". Pas de grand guignol, pas d'effets superflus. Cependant, rien n'est éludé, tout est précisément rapporté, et enrichi par l'apport du jeune homme qui est plus qu'un conteur. L'essentiel est montré lorsque nécessaire, mais sans excès : les faits parlent d'eux-mêmes.
Le scénariste se concentre sur les seuls meurtres de Mary Hogan et de Bernice Worden. Deux robustes femmes comme les campagnes savaient en couver de ce côté de l'Atlantique comme de l'autre. Deux matrones dont le profil n'est pas si éloigné de la mère aussi adorée qu'haïe. Peu de références aux crimes qui lui sont attribués par ailleurs, il faut dire que les charges établies contre lui ne portaient que sur ces deux affaires. Quarante-six planches, c'est finalement peu mais, moins concis, le récit aurait-il été plus riche ? Même si, finalement, l'écriture de Dobbs étant véritablement cinématographique, on aurait bien gouté à quelques scènes coupées. Toujours est-il que son prochain Ted Bundy, l'homme pour lequel le terme de serial killer fut employé pour la première fois, est désormais attendu. Avec l'espoir d'une brillante confirmation face à ce nouveau défi qui consiste à composer avec une matière si riche dans un espace si contraint.
Le dessin d'Allessandro Nespolino joue lui aussi la carte du réalisme et de la sobriété. Pour l'occasion, son style rappelle étonnamment celui des pulps publiés par EC comics dans les années 50, auxquels appartiennent les Crime SuspenStories qu'on retrouve à plusieurs reprises au fil de l'album. L'encrage se fait cependant plus fin et moins rugueux, tout en conservant l'équivalent d'une patine d'époque. Les jeux de couleurs (léger noir et blanc / sépia pour le traitement des flashbacks d'où émergent quelques classiques rappels de rouge pour souligner l'hémoglobine notamment) et les détails (casquettes à carreaux du gamin et du tueur, mouche que ne trouble pas un Gein d'un calme absolu – tout le contraire d'un fou en apparence - lorsqu'il témoigne à la barre) sonnent juste. Le fait que le duo d'auteurs conclut une histoire de ce genre par une note d'humour qui fait mouche est le témoin final de leur aisance à traiter le sujet.
Illustrer un dossier criminel est un véritable exercice casse-gueule, les précédents titres de la collection Dossier Serial killer l'ont montré. Dobbs et Nespolino montrent qu'il est possible de raconter une histoire tout en respectant les nombreuses références et les documents d'époque, mais aussi de susciter la tentation d'en savoir plus sur Ed Gein. Celui qui fît du babysitting pour gagner un peu d'argent lorsqu'il était adolescent. Celui qui prit soin des gamins du voisinage avant, plus tard, de découper leurs cousines, tantes,..
Pour en savoir plus : l'interview BDGest
Le blog de Dobbs
Les avis
Erik67
Le 05/09/2020 à 14:44:22
Cette lecture m'aura permis de combler une lacune en matière criminelle. Je ne connaissais pas Ed Gein qui fut pourtant l'un des pires sérial-killers de l'histoire. On ne peut pas tout savoir. Pour autant, je me dis qu'il vaudrait mieux oublier les exploits macabres de ce tueur fou.
Cette bd est traitée presque comme un documentaire. Elle se veut le plus proche possible de la réalité. Le récit est introduit grâce à un journaliste qui est venu interviewer le meurtrier dans sa cellule. Ce journaliste l'avait également connu lorsqu'il était enfant et qu'il trainait dans les bois non loin de la maison des horreurs où se pratiquait le charcutage façon chasseur des bois.
Il n'y aura pas de révélation vraiment fracassante. On a presque l'impression que les plus grands psychopathes ont eu une relation malheureuse avec leur mère (thème qu'avait repris d'ailleurs le cinéaste Alfred Hitchcock dans "Psychose"). La presse avait fait ses choux gras avec une telle personnalité. Aujourd'hui encore, une bd lui est consacrée. N'a-t-il pas finalement gagné ?