L
e seigneur Saïgo conclut un pacte avec quarante-huit démons : pour devenir maître du pays, il leur offre une partie du corps de son enfant dont la naissance est imminente. Le petit nait donc sans yeux, sans nez, sans oreilles, sans bras, sans jambes… Abandonné par ses parents, Hyakkimaru sera recueilli par un médecin qui lui fabrique des membres artificiels et l’éduque comme un être humain normal. Poursuivi par les démons, le garçon devenu un redoutable combattant est contraint de prendre la route pour préserver son père adoptif. Il rencontrera en chemin un très jeune voleur, véritable petite teigne, Dororo. Leur itinéraire sera jonché d’épreuves et de dangers qui construisent les hommes. Dans le cas présent, au sens propre comme au figuré.
Vieille de près de quarante ans, cette série est un véritable enchantement. L’esprit des samouraïs, des créatures monstrueuses qui peuplent les légendes japonaises, des combats survitaminés, de l’humour, une dimension morale (rien n’est facile mais l’essentiel c’est de suivre sa voie en évitant la compromission) : voilà de quoi séduire un large public de petits et grands. Les premiers s’amuseront aux pitreries de Dororo, s’émerveilleront aux exploits de Hyakkimaru (le véritable personnage central), frémiront à l’apparition de créatures aussi hideuses que soignées dont ils raffolent. Et les plus âgés… aussi, en étant plus réceptifs à la cruauté de la fable de Tezuka. Ils retrouveront, en même temps que sa science légendaire en matière de construction d’un récit et son sens du cadre, quelques thèmes aperçus dans d’autres séries parmi lesquels cette femme-martyr vouée à une cause perdue ou cette grosseur douée d’une vie propre qui se développe sur un corps. Seuls les clins d’œil pour le moins curieux à l’époque contemporaine (référence de Dororo à un mangaka du XXème siécle, la notion de S-F citée dans un dialogue par exemple) feront figure d’anachronisme dans ce récit plutôt désespéré malgré un graphisme tout en rondeur.
Depuis de longues années, les histoires de quêtes à la noix à base de légendes usées jusqu’à la moelle ont rempli les rayonnages des librairies. La découverte de l’ancêtre Dororo risque de donner un coup de vieux à nombre d’entre elles et à rendre bien pâles la plupart. De quoi regretter que la série ne compte que quatre volumes.