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Tu vas rire, Clouillure, on s'est trompé de maison ! Le prêtre habite à côté !
- Toutes les maisons se ressemblent ! Et puis vous aussi, les Aquabonistes, vous vous ressemblez tous !
D'une intelligence hors du commun et doublés d'un raffinement à peine croyable, les soldats du Grand Khan se sont donc trompés. Au lieu d'assassiner le prêtre baptiste, sorte de sommité du monde sous-marin, ils liquident la famille de Noyeuse, simple adolescente aquaboniste (vous savez, ces espèces de gros têtards mauves qu'on avait déjà croisés dans Donjon Crépuscule 101…) Pour survivre, Noyeuse prend la place d'un de ses congénères à la solde du Grand Khan et fait son entrée dans les rangs de la Géhenne.
Tout au long de l'album, on va suivre son parcours et on va découvrir la guerre qui oppose le Grand Khan et les Aquabonistes : une lutte d'une rare violence dans un monde aquatique mis à feu et à sang (enfin, surtout à sang).
Ce nouveau tome de Donjon Monsters est particulier à plus d'un titre et se distingue de la trame principale, ces velléités sous-marines n'ayant pas de lien direct avec l'histoire du donjon (qui n'apparaît d'ailleurs pas dans cet album) et l'entièreté du récit se déroulant dans ces fameuses profondeurs. C'est l'occasion pour Sfar et Trondheim de se donner une totale liberté, livrant ici un one-shot complètement ancré dans un nouvel univers. On suit donc le périple de Noyeuse dans cet environnement hostile et on assiste à ses côtés à la perte de son innocence. Derrière cette histoire, c'est bien évidemment l'horreur de la guerre et sa violence aveugle qui est montrée du doigt. Dénonciation trop évidente ? Elle n'en est pas moins pertinente et le sort de Noyeuse nous tient à cœur jusqu'à la dernière page.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas l'univers tentaculaire de Donjon, rappelons que chaque nouveau Donjon Monsters se déroule à un moment différent dans la grande histoire narrée dans les trois séries principales : Donjon Potron-Minet, Donjon Zénith et Donjon Crépuscule. C'est à chaque fois un nouveau dessinateur qui vient se mettre au service de la grande fresque que constitue cet univers d'une richesse absolue. Sfar et Trondheim parviennent toujours à choisir un artiste dont le style s'accorde à merveille avec leur scénario. Pour Les profondeurs, ils ont fait appel à Killofer et ce choix fut certainement le bon. Il est arrivé à créer de toutes pièces une population sous-marine complètement originale en dérivant des créatures aquatiques les plus variées. Pour la représentation des personnages (ou plutôt des monstres) et des fonds marins, il n'hésite pas à surcharger ses planches de mille et un détails. Le pari était osé, tant les décors peuvent paraître brouillons et les scènes d'action difficile à suivre. Mais avec un minimum d'attention, on passe très facilement outre cette difficulté et on se régale de l'inventivité du trait de Killofer. Comme tous les dessinateurs qui se sont succédés aux commandes de la série, il ne s'est pas contenté d'un service minimum. On sent qu'il s'est véritablement impliqué dans cet album, avec le souci de donner le meilleur de lui-même.
L'ensemble mêle un certain gigantisme, qui se traduit par d'immenses constructions, et une ambiance pesante et confinée, due aux scènes d'action filmées au corps à corps. La violence ressort véritablement de cet univers à la fois cruel et délirant, et à grands renforts d'hémoglobine. L'occasion pour nous de souligner le superbe travail réalisé conjointement par Walter et Killofer sur les couleurs, un tour de force quand on voit la précision du dessin et l'encombrement des cases.
Ce nouvel album est donc une nouvelle pierre à l'édifice du donjon et démontre une nouvelle fois l'extrême créativité de ses auteurs et la liberté totale qu'ils se donnent sur ce qui est devenu leur série phare. Les Donjon Monsters sont pour beaucoup dans le caractère unique de l'univers érigé par Sfar et Trondheim car ils permettent un mélange de styles et un rythme de parution incroyables. Et quand on voit les noms des auteurs qui succéderont à Killofer, on se dit qu'on est pas au bout de nos surprises.
Les avis
Arkadi
Le 12/08/2022 à 15:44:45
Une œuvre rare d'âpreté et sublime de violence crue, nauséeuse à la lecture. Et il est rare d'avoir ce genre de ressenti dans une lecture d'héroïque fantasy, un ressenti méticuleusement scénarisé et dessiné par les auteurs. Et c'est en cela que c'est du grand art. Peut être l'un des plus réussis de la saga Donjon.
Killofer est incroyable dans le cadrage qui mélange le haut du bas, la gauche de la droite. Il illustre à la perfection une civilisation marine qui, dans l'eau, n'a plus de points cardinaux, ni lignes de fuite, avec des mouvements spatiaux qui utilisent toutes les dimensions. De plus, sa précision architecturale est incroyable de finesse, sa violence sanguine est répugnante. Ce monde aquatique est un violence ou l'on se nourrit avec ses œufs, ou le racisme est partout légitime et nourricier, et ou la résilience est totale. Chaque cadrage, chaque personnage, chaque mouvement illustrent à la perfection tous les thèmes de l'histoire.
Et le scénario est extraordinaire. haletant et violent, on suit une jeune poisson qui d'adolescence deviendra guerrière boursouflée de colère. La dernière case de l'album est d'un onirisme extraordinaire en la comparant à la première. Biensur il y des éléments de l'univers Donjon qui alimentent la saga lorsque l'on quitte l'eau. Herbert fait peur. Sa domination est totale.
Mais l'œuvre peut être lu seule tant son intensité se suffit à elle même. Ce monde aquatique est un monde à part, et les auteurs ont construit ici un densité sociologique qui leurs permettent de raconter l'histoire de jeune femme qui vivra l'horreur avec un brio rare.
Cet opus est assurément l'un des plus réussis de la série mais également de tous le 9ème art de France.
Freddy Lombard
Le 16/11/2020 à 15:30:32
Ecoeurant et magnifique.
Une esthétique pointue et perverse, un scénar' qui ne l'est pas moins.
L'album qui a définitivement rangé Donjon au rayon adulte.
Pulp_Sirius
Le 23/01/2020 à 05:14:57
Les profondeurs est un album particulièrement troublant. Déjà que la série ne se gêne pas pour aborder des sujets assez sérieux, celui-ci met le paquet!
Sinon, l'histoire présentée ici est intéressante et montre à quel point le Grand Khan était craint de tous. Il est plaisant de revoir certains personnages seulement aperçus dans un album auparavant, comme Shiwomihz et Papsukal.
Unique dans son contenu.
minot
Le 09/04/2012 à 22:16:41
Ce neuvième "Monsters" est étonnant à plus d'un titre : déjà, il met en scène un personnage inconnu jusqu'alors, et spécialement créé pour l'occasion, puisqu'on ne reverra plus jamais Noyeuse (l'héroïne de cet épisode) dans aucun des albums suivants. Mais surtout, le scénario est très cru et certaines scènes sont vraiment atroces, pour ne pas dire choquantes. Toutefois, malgré la cruauté du scénario, la lecture est passionnante et c'est un vrai plaisir que de découvrir l'univers sous-marin de Terra Amata et d'assister à l'évolution de la planète, en train de tomber sous le joug du Grand Khan.
Le style "Arty" du dessin de Killofer, avec plein de formes déstructurées, géométriques voire décalées, et des couleurs acidulées et osées, en total contraste les unes avec les autres, est très plaisant et idéal pour illustrer cet univers dépourvu de pesanteur, où les monstres marins les plus variés et extravagants se meuvent dans tous les sens et positions possibles.
J'ai pour ma part beaucoup aimé LES PROFONDEURS, mais il faut avoir le coeur bien accroché. Un "Donjon" très particulier à déconseiller aux enfants.