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ne Espagne atemporelle, probablement vers la fin de la Renaissance, mais ce récit aurait eu tout à fait sa place dans le Nouveau Mexique du XIXème siècle. Là, un vieux gentilhomme perd contact avec la réalité. Passionné de romans de chevalerie, nostalgique d'un Moyen-Âge épique qui n'a jamais existé que dans les livres, il souhaite recréer ce paradis perdu et devenir lui-même le héros d'un nouveau roman. Il lui faut une armure : celle de l’aïeul toute rouillée, colmatée au carton fera l'affaire. Son vieux canasson devient le fier destrier Rossinante, et la robuste paysanne qui lui a, un jour, accordé un regard, se mue en noble dame de ses pensées, muse de ses futurs exploits, Dulcinée du Tobosco. Ainsi, Don Quichotte de la Manche, chevalier errant, se lance à l'aventure...
Héros universel dont certaines expressions sont passées dans le langage commun, difficile de n'avoir jamais entendu parler de Don Quichotte de la Manche et son combat contre les moulins à vent. Adapté sous toutes ses formes depuis plusieurs siècles (théâtre, opéra, ballet, en passant par la peinture et l'illustration, puis sous les formats modernes de la comédie musicale, du cinéma et de la télévision), souvent parodié par les plus grands (Astérix en Hispanie), réaliser une nouvelle version en bande dessinée constituait un vrai pari. Pourtant, pour en revenir à la source, combien ont réellement lu l'ouvrage de Cervantès, considéré comme le premier roman de l'ère moderne ? Irrévérencieux, aussi énorme dans l'absurde que son quasi-contemporain Rabelais, sa chronique, sous son jour comique, raille avec délice la noblesse ibérique. Adoptant le ton ironique de l'original, un trait vif et décalé, proche du dessin animé, avec ses onomatopées criardes, ses poses à la Matrix (si, si), Rob Davis s'empare et s'amuse du vieil homme et de son écuyer, l'inénarrable Sancho Panza. Fidèle au roman, il s'amuse de l'épitaphe attribuant celui-ci à un chroniqueur arabe, artifice littéraire pour éviter le courroux de quelques autorités vexées par l'ironie mordante du livre, et sème le trouble dans la narration, ajoutant à la dimension schizophrène du récit.
Drôle, fluide et justement documenté, Rob Davis met le classique à la portée de tous. Son adaptation est idéale pour ceux qui n'ont jamais été tenté par la lecture de l'original. Les autres n'apprendront peut-être rien de plus, mais ce premier tome d'un diptyque se lit avec facilité, le sourire aux lèvres. Pourquoi s'en priver?