Résumé: Résumé éditeur : Kiev, 1911. Le Ier ministre du Tsar est assassiné. Tué par balle par un certain Dimitri Bogrov, jeune héritier promis à un brillant avenir d’avocat. Mais pourquoi un homme de sa condition a-t-il commis un tel crime ? Pour comprendre ce geste, il faut remonter au jour où Dimitri a rencontré la belle Loulia. Loulia, rousse, envoûtante, flamboyante et... bolchevik. Loulia qui vit avec son frère, terroriste notoire...
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iplôme d’avocat en poche, Dimitri Bogrov peut choisir d’emprunter la voie toute tracée et confortable qui s’offre à lui. Seulement, sur le chemin qui le ramène vers le cocon familial, il rencontre Loulia. Bientôt, elle occupe toutes ses pensées. Il n’en fallait pas plus pour le détourner du boulevard trop droit et trop lisse qu’on lui a aménagé. D’autant que le chemin de traverse que la jeune femme a choisi de suivre ne lui est pas totalement étranger…
Voici sans doute le premier « Premier album » remarquable de l’année 2009. L’entrée en scène dans le paysage de la BD de la scénariste, Marion Festraëts, se fait par l’intermédiaire d’un récit riche et prenant qui joue sur les histoires. L’histoire avec un grand H, celle de la Russie du début du XXème siècle, à l’un de ses moments-clé où le choix entre évolution et révolution n’a pas été fait. L’histoire avec un grand A également puisqu’il est question d’amour. Et les exemples ne manquent pas pour prouver que, lorsque le souffle des évènements qui transforment une société accompagne celui qui naît de l’emballement des cœurs, il y a matière à raconter de belles choses. Si le romantisme se définit, entre autre, par l’expression de la recherche d’un idéal, alors Dimitri Bogrov doit pouvoir revendiquer le titre d’œuvre romantique, l’idéal allant se nicher dans les tréfonds de la cause politique comme dans la profondeur du regard de l’autre, celui qu’on a choisi.
L’usage impose également une touche de désespoir et de tragédie, qui n’est pas absente ici et même introduite dès l’ouverture du récit (et l’on passera sur le résumé proposé par l’éditeur, trop bavard). Mais il est agréable d’abord de s’inviter à la première rencontre entre Loulia et Dimitri. De suivre quelques échanges badins, de savourer quelques répliques qui étayent l’ouvrage de séduction façonné par les deux personnages, a priori si différents. Inutile de dévoiler le reste, qu’il illustre la détermination du jeune homme, les mises en garde de son entourage, les pans respectifs du passé des amants qui se soulèvent peu à peu, ou encore la succession de choix qui nous rappellent finalement que l’issue est ancrée dans le marbre. La dernière planche arrivée, un cahier répond utilement aux lacunes du lecteur à propos de cette période et des protagonistes qui l’ont agitée, sans pourtant qu’une quelconque nécessité ait été ressentie tant l’exposé se suffit à lui-même. Véritable bonus, il met néanmoins en perspective l’idylle et donne au livre une dimension authentique à ce qu’il convient de baptiser « biographie romancée ».
Pour la servir, le dessin de Benjamin Bachelier joue sur les variations de styles et d’ambiances. Que les sceptiques qui se souviennent de son travail sur Le legs de l’alchimiste où il emboîtait le pas d’Hervé Tanquerelle sans nécessairement s’épanouir dans un style éloigné du sien, ou ceux qui jugent la couverture peu avenante, aillent au-delà de ces a priori. Là, l’union entre couleurs directes soulignées par un « simple » crayon noir, les variations autour de la lumière étonnent par leur variété et par l’autre forme de découpage qu’elles impriment (climat blafard pour les discussions en famille, teintes bleutées des paysages enneigés, atmosphères de feu dans les endroits clandestins…). Parfois, le sentiment d’assister à une variation expressionniste qui oscille entre illustrations et style typiquement BD s’insinue bien un peu à l’esprit mais le charme de l’ensemble opère indéniablement. Certaines cases risquent bien de titiller sur l’air de « je suis sûr d’avoir vu cela quelque part », sans pour autant entraver le plaisir de lecture.
A bien des égards Dimitri Bogrov est brillant. Ce qui n’est pas la moindre des qualités pour une tragédie installée dans une période trouble et sombre. Auteurs à suivre.
» Le blog de Benjamin Bachelier : http://www.benjaminbachelier.com/
» interview de Marion Festraëts
Les avis
Erik67
Le 06/11/2020 à 14:58:07
J’avoue que ce récit ne m’a pas été inconnu mais sans que je puisse le resituer. L’ais-je déjà lu dans une autre bd ou est-ce un film que j’avais vu ? Bref, cela m’a un peu titillé car la fin est très surprenante.
Par amour pour une femme, on peut faire les choses les plus insensées au nom de la Révolution. Effectivement, cela fait peur. C’est sans doute le pouvoir attribué aux femmes qui peuvent nous enlever ce libre-arbitre. Sur le fond, c’est très immoral quand on pourra y voir du romantisme.
Le graphisme est correct avec une bonne lisibilité sur les cases et un jeu de couleurs qui ne laisse pas indifférent. L’auteur parvient à nous faire ressentir l’atmosphère pré-révolutionnaire de l’époque.
Une pensée également pour ce malheureux qui a été assassiné alors qu’il menait son pays sur la voie des réformes. Mais bon, ce n'est pas le point de vue de cette œuvre qui magnifie les gestes anarchistes. On aura même droit à la fin de l'ouvrage par un mot de la descendante de notre héros, un jeune avocat bourgeois qui va faire appliquer sa justice et à sa manière.