Le 30/11/2025 à 18:58:18
C’est avec beaucoup d’appréhension que j’ai acheté cette BD. Luz peut être parfois moralisateur et juge. L’homme ayant connu l’attentat de Charlie Hebdo a d’excellente raison de l’être et il a d’ailleurs toute légitimité à l’être. Mais cela ne fait pas forcément de bonnes BD. Sauf qu’ici, tout est parfait. D’abord l’art du cadre. C’est au travers d’une peinture que Luz décline son histoire. Et il y a des cadres au-delà du cadre, des jeux multiples dans le gaufrier, des petites histoires qui se racontent au travers de la grande. Une multiplicité de lecture, une richesse qui résonne merveilleusement. L’ambiance des multiples périodes que traversent ces « 2 filles nues ». Il y a des tableaux qui seront brulés et que Luz ramène en souvenir triste. Il y a des hommages qui, comme si de rien n’était, raconte tant. Luz privilégie une narration visuelle à s’y perdre dans les couloirs, dans le noir obscur des chemises, dans les méandres d’un wagon, dans une salle…partout. Luz choisit aussi la lenteur narrative. Il a raison. Son tableau est un miroir des âmes qui s’ébrouent, gesticulent, se détruisent. On voit passer les gens avec leurs folies, leurs injustices, leurs morts certaines devant ce miroir. Nous sommes alors voyeurs de plusieurs époques qui se déclinent, confortablement installé derrière l’œuvre sur notre canapé. Le lecteur est presque dégagé intellectuellement de tout l’innommable qui se construit face à lui. Et bien sûr que Luz est juge et moraliste dans cette œuvre. Il a raison encore. Car il a un tel génie à nous avoir mis pépère en voyeur qu’il peut asséner sa pensée avec des symboles rentre-dedans efficace. Et puis il nous prouve que c’est un grand de la BD, qu’il connait les codes de cet art et sait en jouer. Et puis ça finit bien. Ou plutôt ça fini moins pire que cela aurait dû l’être. Et Luz nous propose enfin une respiration heureuse tout à la fin. Avec cet homme qui regarde l’œuvre durant plusieurs planches avec une multiplicité d’émotion sur le visage, Luz nous ramène à l’œuvre que nous avons suivi tout le long. Une œuvre qui, au départ, n’a été créé que pour susciter de l’émotion….Le 29/11/2025 à 17:22:05
1919, OTTO MUELLER peint dans la forêt berlinoise ; son modèle et muse d’une vie, MASCHKA, est nue : c’est le tableau « Deux Filles Nues », qui va connaître une destinée hors norme dans l’Allemagne qui bientôt va basculer dans l’horreur du nazisme. Le décor est planté, et LUZ va nous emporter dans un récit peu banal avec des personnages qui s’effacent derrière les aventures de cette toile s’inscrivant dans l’histoire mouvementée du vingtième siècle, au sortir de la première guerre mondiale et à l’aune de l’avénement du nazisme. D’abord achetée par un riche collectionneur juif, Ismar LITTMANN, confisquée elle va, avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir et les débuts de la volonté des nazis d’éradiquer l’art moderne, se retrouver à Münich dans l’exposition « art dégénéré », contrepoint de celle des oeuvres plébiscitées par le mouvement national-socialiste. Après avoir fait le tour de l’Allemagne, ces tableaux qui auraient pu être brûlés sont vendus aux enchères à Lucerne en Suisse … Il n’y a pas de petits profits pour la nation allemande et ses dirigeants de l’époque … « Deux filles nues » ne trouvera pas preneur mais sera acquise et revendue plusieurs fois par des collectionneurs avertis, pour finir dans un musée à Cologne, avant d’être restituée aux descendant de la famille LITTMANN, comme nombre des oeuvres spoliées aux juifs durant la deuxième guerre mondiale. Le dessin de LUZ est formidable, il traduit bien les périodes très sombres et tragiques traversées par ce tableau, c’est à travers lui que se raconte l’histoire et bien des plans sont traités comme si le tableau nous contait ce qu’il voit. L’art, la culture y sont âprement combattues pour installer l’ordre nouveau voulu par le Reich mais par avidité ou amour de l’art, des hommes interviendront pour sauver cet art moderne « dégénéré », qui reprendra toute sa place une fois la guerre finie. Ce qui nous permet d’admirer encore aujourd’hui toutes les oeuvres qui n’ont pas été détruites. Merci à LUZ de nous le rappeler, avec cette histoire singulière et magnifiquement restituée. Meilleur album de l’année Angoulème 2025 (et c’est amplement mérité).Le 04/10/2025 à 08:10:47
On pourrait croire au vu du titre qu'il s'agit d'une BD érotique sur deux femmes nues mais en réalité, il s'agit d'un célèbre tableau d'Orto Mueller, peint à Berlin en 1919. On pourra découvrir une partie seulement de son histoire car le récit est véritablement concentré sur le tableau érotique. Il est vrai que l'Allemagne avait vécu un peu les années folles avant de sombrer dans les tribulations d'un certain dirigeant extrémiste et populaire qui va emporter l'adhésion de son peuple avant d'entraîner son pays et le monde dans une folie sanglante. Il est question d 'art subversif et de le remplacer par de nouvelles normes plus en adéquation avec l'idéologie nazie. Le tableau sera ainsi présenté dans une exposition destiné à monter l'art décadent mais qui aura trois fois plus de succès que les musées aryens. J'ai eu un peu de mal à emprunter ce titre qui a remporté le fauve d'or 2025 à Angoulême non sans un certain mérite. Il m'a fallu attendre des mois avant de connaître une disponibilité... Je crois qu'on a là la meilleure BD qu'a pu accomplir Luz qui a opéré une transformation assez remarquable dans l'évolution de son œuvre qui était au départ assez triviale. Et que dire également de son graphisme qui n'a fait qu'aller dans le meilleur de ce qu'on peut produire ! Il est passé de la caricature à la véritable bande dessinée et on mesure alors le chemin parcouru pour ceux qui l'ont connu à ses débuts. Le récit était assez difficile à construire car il s'agit de partir du point de vie d'un tableau qui va voir près d'un siècle s'écouler tout en s'attardant sur la période hitlérienne.Le 16/02/2025 à 10:19:06
La formidable idée d'adopter le "point de vue" du tableau n'est qu'un ingénieux prétexte pour raconter un pan entier de l'histoire allemande - non pas par le petit bout de la lorgnette mais à travers le cadre d'une œuvre picturale... Cet artifice entraîne un petit jeu de complicité avec le lecteur : si le tableau est accroché de guingois, par exemple, la case sera elle aussi de travers. Beaucoup de choses sont racontées au second plan. Malgré son dessin jeté, Luz a le souci du détail en fond de case. Doté de chapitres courts et nerveux qui rendent la lecture très rythmée et jamais ennuyeuse, ce récit tout à la fois inspiré, instructif et touchant est une véritable réussite, tant sur le fond que sur la forme.Le 13/11/2024 à 20:17:09
Allemagne, 1919. Otto Muller peintre "nouvelle vague", peint le tableau "Deux filles (demi) nues". Les deux sont bien réels, le tableau est aujourd'hui exposé au musée de Cologne. L'originalité du scénario tient dans le fait que l'histoire de l'Allemagne est ensuite vue au travers des "yeux" du tableau lui-même dans des scènes selon là où il est exposé. Le résumé parle d'un siècle d'histoire de l'Allemagne, en fait une place prépondérante (90% de l'album) est consacrée à la montée puis l'avènement du fascisme et ses conséquences notamment sur les populations juives et l'art "déviant". Donné par certains comme THE album de l'année, j'ai moyennement apprécié. C'est certes très bien documenté, et parfaitement dessiné mais c'est parfois long avec des répétitions de scènes qui ne me semblent pas apporter grand chose à l'histoire. Je salue l'énorme travail de l'auteur, mais je suis resté un peu en deçà des émotions qu'il souhaite nous faire partager car cet album est trop long à lire.BDGest 2014 - Tous droits réservés