Résumé: George et Lennie sont amis d'enfance. Travailleurs nomades, ils parcourent les États-Unis à la recherche de petits boulots qui, un jour, leur permettront de s'offrir la ferme dont ils rêvent... Mais ils doivent souvent changer d'employeur car Lennie a un problème : il est mentalement attardé. Il ne maîtrise pas sa force incroyable, ce qui lui joue des tours. Jusqu'à leur dernière étape dans ce ranch...<br><br>
[ Introduction par Pierre-Alain Bertola] <br><br>
<em>Des souris et des hommes</em> (1937) est <em>avec Les Raisins de la colère</em> l'?uvre la plus connue de l'écrivain américain John Steinbeck. Pierre-Alain Bertola, graphiste suisse réputé pour ses talents de scénographe, régulièrement sollicité de Paris à Berlin, a beaucoup ?uvré pour obtenir les droits de cet ouvrage afin d'en réaliser une bande dessinée qui lui tenait particulièrement à c?ur. Il nous explique ce qui l'a marqué dans <em>ce </em>roman, pourquoi il a tant tenu à l'adapter et le choix du support de la bande dessinée :<br><br>
"Ce qui me marque dans le récit de Steinbeck, c'est tout d'abord son intemporalité: on pourrait imaginer la même histoire dans l'antiquité, ou alors dans l'une de nos périphéries d'aujourd'hui. La situation est liée à la crise de 1929, bien sûr, mais les crises se répètent sous des formes diverses depuis toujours. Le thème des exclusions, dues au statut social et à la différence, sont eux aussi d'une cruelle actualité. <br><br>
Ce qui est également particulièrement remarquable est l'économie de moyen utilisés par l'écrivain: unité de lieu et de temps, dialogues répétitifs, situations épurée, et pourtant l'émotion déborde littéralement du récit, Les personnages semblent si vrai qu'en refermant le roman on semble les avoir rencontrés, connus, compris.<br><br>
C'est précisément pour ces raisons que j'ai tenu à adapter ce roman. Les protagonistes de l'histoire ne m'ont pas lâchés depuis ma première lecture il y a 30 ans. Ils m'accompagnent dans beaucoup de réflexions artistiques: je fais par exemple référence à Lennie dans <em>Les 7 couleurs du noir</em> (paru chez Futuropolis en 1990) et je m'en suis inspiré pour créer le personnage de Papageno dans une adaptation de la Flute enchantée à Saint-Pétersbourg l'an dernier. <br><br>
Mon travail régulier pour le théâtre m'a permis d'envisager cette adaptation dans le soucis d'une grande fidélité au récit, (j'ai pris le parti de d'utiliser les dialogues originaux et n'ai pas changé une virgule du texte) tout en cherchant à approfondir les caractères des personnages, leurs émotions. <br><br>
Enfin, La bande dessinée me semble le médium idéal pour parcourir l'histoire sans ne rien perdre du récit de Steinbeck, ceci malgré le glissement brusque du réalisme vers le fantastique. Un exemple: les adaptations au théâtre ou au cinéma font en général l'impasse sur l'extraordinaire apparition du lapin géant, car cela induit une rupture stylistique par trop radicale... Je crois que la bande dessinée le permet."
C
lassique de la littérature né sous la plume de Steinbeck, Des souris et des hommes trouve sous les coups de pinceau de Pierre-Alain Bertola une adaptation en bande dessinée qui, bien que présentant de nombreux atouts, pose une nouvelle fois la question de la pertinence d’un tel exercice.
La principale qualité de cet album, outre la richesse de l’œuvre originale, s’impose dès les premières pages. Le style graphique, soigné, reposant sur de subtiles variations allant du noir au blanc en passant par le gris, fascine immédiatement. Il convient parfaitement pour dépeindre un monde où les hommes survivent plus qu’ils ne vivent, surtout les ‘petites gens’ qui n’ont pas d’autre choix que de vendre leurs services de ranch en ranch. Le travail, dur, et les conditions de vie, entre promiscuité et tension permanente, ne facilitent pas l’intégration de nouveaux arrivants, a fortiori lorsque l’un d’entre eux allie à une grande force physique un manque d’intelligence et d’indépendance tout aussi flagrant.
À n’en point douter, le récit véhicule de grandes valeurs, au premier rang desquelles on retrouve l’amitié et la solidarité, le respect et le droit de chacun à disposer de sa propre existence, mais le passage au format bande dessinée donne trop souvent l’impression de rester à la surface des choses. Pourtant bien racontée, l’histoire se déroule trop rapidement, et, une fois la dernière page tournée, le sentiment qui prédomine est celui d’une grande frustration : celle de ne pas avoir pu faire davantage connaissance avec des personnages dont le potentiel, que ce soit au niveau de leur caractère ou des messages qu’ils sont à même de délivrer, n’a été que partiellement exploité.
Pierre-Alain Bertola a donc réalisé avec savoir-faire un album dont la qualité est indéniable. Est-ce parce que les adaptations fleurissent un peu trop ces derniers temps que l’enthousiasme s'en ressent à la lecture ? Toujours est-il que le récit s’achève sur une impression, hélas, mitigée.