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ichkek, Erevan, Makhatchkala, Tbilissi, Magas, Och, Minsk et Moscou : autant de villes que de voyages et de rencontres. Entre 2014 et 2021, Victoria Lomasko, artiste russe engagée, a séjourné dans plusieurs pays et régions de l’ex-URSS pour y animer des ateliers, essentiellement à l’attention des femmes. Au cours de ses échanges et promenades, elle en a profité pour rechercher les vestiges du passé soviétique et mesurer les mutations qui ont eu lieu depuis l’effondrement du bloc de l’Est. Elle les raconte dans La dernière artiste soviétique, un album publié par The Hoochie Coochie.
Ce reportage illustré est divisé en deux parties. Intitulée « Sur les traces de l’Empire », la première dévoile les voyages de l’autrice au Kyrghyzstan (2014 et 2016-2017), en Arménie et en au Daghestan (en 2015), en Géorgie (entre 2015 et 2016), ainsi qu’en Ingouchie (en 2017). Elle s’inscrit dans un projet global qui était de parcourir les anciennes républiques soviétiques, mais que l’arrivée de la Covid-19 a perturbé. Dans la seconde section, « La dernière artiste soviétique devient quelqu’un d’autre », Victoria Lomasko (L’art interdit) relate son expérience en Biélorussie en 2020, au moment où le pays connaissait des manifestations contre le régime pro-russe en place. Il y est également question des deux dernières années que l’activiste a passé en Russie avant de choisir la voie de l’exil en 2022. Le récit reprend les entretiens que la militante a eu avec les populations côtoyées durant ses séjours, de même que ses propres observations. En regard du texte, des croquis esquissés sur le vif animent les pages, illustrant et renforçant le propos.
Les sujets abordés sont assez larges et s’inscrivent tant dans la sphère sociale que culturelle ou politique et ethnique. Ainsi, il est question de certaines coutumes ancestrales qui perdurent ou peinent à être abandonnées (à l’instar de l’Ala katchouou, la tradition d’enlèvement des fiancées chez les Kyrghyzes), de la montée du féminisme et formes qu’il prend selon les régions, de la place des individus LGBTQIA+, des relations avec les minorités locales ou les contrées voisines parfois chargées de préjugés ou encore marquées par le poids de l’histoire (comme entre Arméniens et Turcs ou entre Ingouches et Ossètes). Le rôle et la liberté – souvent limitée - des artistes sont aussi mis en avant, le dernier chapitre étant, en cela, éloquent quant au cas particulier de la dessinatrice. Enfin, l’ombre de l’URSS se révèle omniprésente. Elle se retrouve dans les regrets exprimés par des Russes âgés, nostalgiques d’une époque où tout leur semblait plus simple. Et elle prend forme, par exemple, à travers les reliques conservées précieusement dans ce « jardin-musée » à la gloire de Staline, monté par un chauffeur de taxi retraité dans la cour intérieure d’un immeuble de la capitale géorgienne.
Tenant du documentaire, La dernière artiste soviétique offre un aperçu intéressant des réalités qui prévalent dans les pays de l'ex-URSS, tout en alertant sur les dérives dictatoriales du régime russe.