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té 1976. Christophe et sa famille s’installent au Clos de la flèche, un lotissement qui sera son nouveau « territoire ». Cet espace de jeu il va apprendre à le connaître au guidon de son superbe demi-course, les « connauds » qui le peuplent il va s’en faire accepter autant que s’imposer à eux.
Avec Demi-course et casquette Motul, on ne picore pas une madeleine du bout des lèvres, on croque à pleine dents dans un choco BN avec l’appétit de ceux qui ont passé leur journée au grand air. Pas de place pour une couche de vernis qui enjoliverait artificiellement les souvenirs, place à l’authentique même s’il n’est pas dénué de nostalgie. En particulier pour une époque où il était inconcevable de rester le cul collé devant un écran. Dès le jour levé jusqu’à la nuit tombante, c’était tours de vélos par-ci et tours de cochons par-là (la cruauté dont peuvent faire preuve les enfants dans leurs relations et leurs tentatives d’imposer leur autorité est bien présente et restituée). Pas d’angoisse non plus pour les parents qui ne tremblaient pas lorsque les gamins partaient explorer les « bois » ou les champs, pas plus qu’ils ne les enveloppaient dans du coton pour éviter un bobo ici ou là ou un coup de soleil. Au contraire, ça pouvait les amuser ces signes « que le petit avait dû bien s’amuser ».
Pour son premier scénario, Christophe Gaultier partage donc ses souvenirs et, à l’image de son trait, il le fait sans fioriture excessive, avec force et conviction. Il n’y a pas de tabou. Par exemple, un ado, la puberté, ça le travaille. Et bien il en parle de ces tendances à l’exhibition plus ou moins spontanées, de ce voyeurisme bon enfant qui consiste à reluquer des pin-up de calendrier pour découvrir ce qu'on cache d'habitude. Un peu trop ? Peut-être, mais à quoi bon jouer la carte de la fausse pudeur. Il parle aussi des icônes de l’époque (ah le culte de Claude François…), de la mode vestimentaire (dont on se foutait pas mal quand on avait 10-12 ans, l’obsession du vêtement griffé chez les jeunes ne sévissait pas), des relations de voisinage et de la découverte des autres. Il y a aussi une place pour une certaine nostalgie qui transpire dans ces moments mémorables, comme les « vacances à la campagne chez les grands-parents » (le souvenir du lapin éternel, si on l’a vécu c'est d’autant plus rigolo et émouvant), tout comme dans ce coup de griffe aigre-doux a propos du petit commerce. Enfin, il y a « Le bois de Boulaise », surprenant et marquant interlude teinté de mysticisme. Jolie faculté de parler simplement de tous ces moments marquants, pourtant totalement anodins à première vue, mais qui façonnent la personnalité d'un homme.
Avec ce recueil de courts récits dont il prend le soin d’annoncer le genre, « happy days » ou « drame familial » par exemple (et ça marche, on se précipite sur le suivant avec envie, dans l'attente d'en découvrir le second degré), Christophe Gaultier fera vibrer, sans la ménager, la corde sensible d’un bon nombre de provinciaux trentenaires ou quadras. Les autres auraient tort de passer à côté de Petit plateau. Qu’ils n’attendent pas la seconde partie pour prendre le train en marche. Si pour le deuxième volet on passe sur le grand braquet, il va falloir suivre…