Résumé: Pour Brian Milner et Laurie Dunn, le clap de fin approche. Entourés de leurs amis, les deux protagonistes se réunissent une dernière fois près d’un lac pour tourner les ultimes scènes de leur film amateur. Le soir venu, autour du feu de camp sur lequel grillent les poissons pêchés dans la journée, l’heure est à la fête et toutes conditions d’une happy end sont rassemblées. Pourtant, l’histoire ne semble pas suivre le storyboard initial...
Enchevêtrant subtilement le cinéma et la vraie vie, Dédales est une série qui construit sa narration autour du rapport entre l’inconscient et sa représentation. Ce thème est ici décliné par Charles Burns à travers d’incroyables séquences où le rêve devient source d’inspiration de la fiction mais aussi une échappatoire à la réalité.
Jouant avec la confusion des genres, Burns nous plonge dans une histoire qui oscille sans cesse entre science-fiction, romance et film d’horreur pour mieux nous emmener là où on s’y attend le moins. Il nous offre dans ce dernier et ultime tome un dénouement sublime qui, comme dans tout grand film, laisse de profondes réminiscences bien après le générique.
L
e tournage du film de Brian et ses potes touche à sa fin. Un dernier séjour dans la montagne suffira pour boucler les prises de vue. Toute l'équipe part camper sur un spot au bord d'un lac. Sur la route, le jeune homme se révèle surexcité. Il reconnaît avoir arrêté de suivre son traitement et semble osciller entre phases maniaque et dépressive. Secrètement, il attend le bon moment pour enfin avouer ses sentiments à Laurie. Cette dernière prend de plus en plus ses distances, consciente du basculement de son ami.
Sur la couverture du premier tome de cette trilogie, la jeune femme était représentée de dos, n'offrant au regard que sa flamboyante chevelure rousse. À la fois désirable et lointaine, elle incarnait un pur fantasme. Pour cette dernière partie, elle se présente de trois-quarts, le regard perdu, un peu rêveur. Elle apparaît humaine, dans toute sa simplicité. Et pourtant, elle n'est pas tout-à-fait présente. Son attention est ailleurs, installant une distance entre le modèle et le spectateur. La projection onirique d'un Brian flottant qui illustrait le second tome résume parfaitement l'évolution de la relation entre les personnages. Tandis que lui reste suspendu dans un monde où ses rêves, ses fantasmes et son inconscient l'isolent, elle s'est ancrée et ouverte vers l'extérieur.
L’œuvre de Charles Burns évoque immanquablement l'horreur et le grotesque. Depuis ses premiers récits, le lecteur a pu assister à des scènes absurdes, peuplées de visions insensées et pulpesques d'icônes de la culture populaire. Le teen horror, la Lucha Libre, les bandes dessinées sentimentales ou Tintin furent invoqués par le passé. Dédales regorge d'influences du cinéma d'horreur, citant nommément Invasion of the Body Snatchers et le cultissime Vincent Price. Et lorsqu'un groupe de jeunes se retrouvent pour passer un weekend dans la nature, tout le monde sait ce qui va se passer. Les stéréotypes sont présents, presque jusqu'à la nausée. C'est pourtant une tout autre référence qui s'invite dès les premières pages : La dernière séance de Peter Bodgdanovich.
L'auteur de Black Hole s'amuse des codes qui lui ont été assignés. Pourtant, il ne se contente pas de rejouer la partition qui a fait son succès. Le cœur de ses récits, ce ne sont pas les monstres au sens premier du terme. Il parle de l'altérité, de la solitude, de l'inadaptation, des freaks... en cela, Dédales reste évidemment une œuvre profondément et intimement burnsienne. Mais il convient de ne pas s'arrêter à son trait caractéristique et sa capacité incroyable à distiller des atmosphères malaisantes. La singularité et la qualité de son travail va bien plus loin que cela.
La question qui se posait immanquablement à l'entame de ce dernier tome concernait la conclusion. Les deux premières parties avaient planté un décor fascinant sans donner de véritables pistes sur ce à quoi s'attendre. Il fallait au lecteur une confiance quasi aveugle pour se laisser emporter dans cette histoire plutôt banale et presque lisse. La beauté des planches et la virtuosité de la construction ne servent pas à grand-chose si le dénouement fait l'effet d'une baudruche qui se dégonfle pitoyablement.
Alors que les dernières pages se profilent, l'appréhension grandit. Où Burns entraîne-t-il son public ?
Tout simplement vers une conclusion cinématographique à la fois intense et sublime.
De celles qui continuent de hanter le spectateur après que le générique a cessé de défiler.
De celles qui vous collent au siège, une fois que la dernière bobine tourne désormais à vide, émettant un claquement sec et rapide.
De celles qui vous laissent incapable de bouger tant que la lumière ne se rallume pas.