Résumé: Janis et Jonas sont deux artistes talentueux. Ils vivent ensemble en autarcie, se suffisant à eux-mêmes, heureux. Une pandémie et son confinement, puis l'arrivée dans leur vie de Giuseppe, être simple doué d'un pouvoir aussi inutile que fascinant, va pourtant tout changer...
Comment aimer tout en restant soi-même et libre ? Gabrielle Piquet revient avec une fable dessinée subtile et irrésistible, dans les pas de Montaigne et de son « il faut se prêter aux autres et ne se donner qu’à soi-même ».
I
l n’est pas de talent qui échappe à Janis et Jonas. Ils jouent de tous les instruments avec aisance, peignent avec fulgurance, maîtrisent la langue avec audace et dansent avec grâce. Ce sont des génies en tous points, qui supportent mal la médiocrité ambiante du monde. Alors, ils vivent coupés du monde, en autarcie totale. Chacun se suffit à l’autre et le complète. Lorsqu’une pandémie s’abat et entraîne un confinement, le quotidien du couple n’est nullement modifié et leur bonheur reste entier. Mais leur rencontre avec Giuseppe va tout changer. Le jeune homme lévite littéralement et met à mal, par la même occasion, les certitudes des deux artistes.
De l’air est de ces œuvres similaires à une boule à thé : il faut l’immerger puis, lentement, laisser infuser. Car, dans ce récit, tout est décalé et les questionnements profonds sont légion. Abordant la vision du monde qu’ont les surdoués, le besoin humain de solitude ou encore les désirs de liberté, Gabrielle Piquet (La mécanique du sage) accorde, surtout, une place centrale à un sujet aussi merveilleux qu’insoluble : l’amour. Qu’aime-t-on chez l’autre lorsque l’on considère l’aimer ? Voilà la question qui agite inconsciemment les protagonistes et anime la centaine de planches. L’autrice décortique la conditionnalité de l’amour, sème des graines dans l’esprit du lecteur, en se gardant bien d’avancer quelque théorie que ce soit. L’enjeu n’est pas ici de répondre à la question mais de prendre conscience de son existence. De ce point de vue, l’album atteint pleinement son objectif avec une forme de fausse légèreté qui masque une extrême précision. Chaque mot de chaque phylactère est choisi avec une pertinence remarquable, ce qui enveloppe l’ensemble d’atours délicieusement poétiques. Dans un style à mi-chemin entre Quino et Sempé, le trait est élégant et les couleurs (une première pour la dessinatrice) douces et justement dosées. Faisant écho à l’ouverture d’esprit à laquelle la lecture invite, les cases ne sont enfermées dans aucun cadre et les mises en page sont inventives et habiles.
De l’air est une bande dessinée à l’image de ses personnages : atypique et attachante. Un livre à découvrir… puis à mûrir.