V
oyez Eddie, une petite frappe coriace pendant la prohibition, du genre "Crève et marche" quand il s’agit de le dessouder. Remarquez, il n’est pas évident de buter un type quand le gus a vendu son âme au diable et que la malédiction dont il est victime consiste à infliger les blessures par lesquelles il a passé l’arme à gauche à la première personne qui se risque à le toucher. Mettez que le parrain de l’une des plus puissantes familles de la pègre, "Big" Al Alighieri, l’engage pour se débarrasser de ses rivaux, les Roarke et autres Verlochin. Figurez-vous que, parmi d’autres activités illégales, ces familles se consacrent essentiellement au commerce des âmes humaines. Imaginez enfin un album où Elliot Ness et ses incorruptibles seraient soudainement plongés dans l’univers d’Hellblazer… Bienvenue chez les damnés !
Nouvelliste horrifique remarqué, Cullen Bunn s’affirme comme un dialoguiste hors-pair et mène avec brio ce pastiche typé hard-boiled. Bunn multiplie les références aux classiques du genre sans pour autant verser dans la parodie. Evoluant dans un monde corrompu, aux prises avec les forces infernales, Eddie, mi-détective, mi-voyou, est l’anti-héros parfait. On l’imagine aisément dans un roman de Hammet ou de Chandler, campant un privé à la Philip Marlowe, costard élimé mais classieux, du bagout et la réplique facile, les cicatrices et les coutures en plus. Quant au démon foutrement cornu et diablement charismatique, Al Alighieri, on ne sait ce qu’il doit à Hellboy, à Capone ou à Dante. Et si la mise en place est parfois un peu poussive, si les origines de la malédiction frappant Eddie ne sont qu'à peine dévoilées, l'avenir de la série semble assuré.
L’une des forces de The Damned réside ainsi dans la capacité des auteurs à multiplier les points de vue, à éclairer l’arrière-plan d’un dialogue ou d’une scène. Au-delà du choix judicieux des angles et d'un sens très cinématographique du découpage, l’ambiance doit beaucoup aux couleurs et au dessin de Brian Hurtt (Queen & Country, Gotham Central). On l’imagine volontiers jubiler à l’idée de saper des démons en Armani et à les affubler de gros cigares. Chose suffisamment rare pour être mentionnée, Hurtt s’est chargé seul des crayonnés, des aplats de noir, des contours et du lettrage. Il use et abuse des ombres et des dégradés de gris de manière réjouissante. Peu lui chaut d'ailleurs que la scène se déroule en plein jour et son travail ne va pas sans évoquer, à cet égard, celui de Steve Dillon sur The Preacher ou plus près encore, sur Hellblazer. L’encrage parfois éthéré sied parfaitement aux plans où Eddie échoue dans l’autre monde. L'encre de Chine cède alors place aux hachures et à l’esquisse pour refléter la présence toute fantomatique du détective en un lieu à peine matérialisé. Petit bémol, certains personnages paraissent parfois extraits d'un même moule et seule leur appartenance à l’humanité ou aux engeances démoniaques permet alors de les distinguer. Ce défaut s’estompe néanmoins au fil de l’album.
Il y a de bonnes raisons de découvrir The Damned : un univers riche, une relecture originale de l’histoire pourtant archi-revisitée de l’époque de la prohibition, le fait que Dreamworks en ait acheté les droits pour l'adapter au grand écran… Mais la plus importante est sans doute celle-ci : si les pontes de la mafia sont des démons, à quoi peuvent bien ressembler les flics qui les pourchassent ?
Les avis
Erik67
Le 26/11/2020 à 16:50:26
The Damned est un peu dans la lignée de Hellboy tout en restant cantonné dans les milieux mafieux. Il y a aussi ce côté humour décalé qui fait mouche.
Le dessin en noir et blanc est une pure merveille. Les créatures démoniaques auxquelles doivent faire face les deux frères doués de talents occultes sont magnifiquement représentées. Cela intrigue et surtout cela confère un caractère réellement original à ce comics. Le trafic des âmes remplace le trafic de drogue...
La lecture s'avère passionnante à souhait dans ce mélange efficace de thriller et de fantastique.
blacksad053
Le 08/11/2010 à 15:38:58
Très bon ce premier tome. Une histoire originale, mélanger la mafia des années 30 avec des démons, et donc des aspects ésothériques c'est vraiment une bonne idée (trafic d'âmes...) L'ambiance et bien noire (style film noir,mais avec un aspect fantastique), les personnages sont vraiment intéressant (sans morale, plus pouris les un que les autres), Le noir et blanc est ici bien exploité, un traitement couleur n'aurai pas aussi bien rendu cette ambiance. ça colle bien au propos.