A
près avoir détaillé Les 100 plus belles planches de la BD érotique, Vincent Bernière élargit son propos au Neuvième Art dans son ensemble. Dans une sélection totalement subjective, il a rassemblé et commenté une centaine de pages qu’il estime être particulièrement admirables. Éclectique et parfois étonnante – voir Joe Matt côtoyer Jean Graton est amusant -, l’ouvrage forme une étrange encyclopédie graphique à l’organisation anarchique agrémentée d’une érudition digne des meilleurs épisodes de la Rubrique-à-brac.
Ce beau livre spécialement destiné à un public curieux, mais pas connaisseur du domaine, offre un vaste panorama très diversifié. En effet, ce florilège ratisse large : auteurs classiques connus de tous, artistes plus confidentiels, pionniers oubliés et une vaste ouverture à l’internationale qui ne se limite pas aux USA et au Japon se retrouvent au sommaire. L’exercice du choix est évidemment périlleux et prête facilement à la critique (pourquoi ceci et pas cela ?).
Chaque est pièce est accompagnée d’une notice explicative et c’est là que les choses commencent à se compliquer. En effet, outre les nombreuses imprécisions ou carrément des erreurs historiques (une relecture sérieuse n’aurait pas été inutile), Bernière s’est senti obligé de relier les petits Mickeys (ou miquets comme disait l'autre) au monde l’Art «officiel». Dans certain cas, ces connections vont de soit, car revendiquées par les dessinateurs eux-mêmes ; pour d’autres, en revanche, ce jeu d’influence s’avère plus que nébuleux. Ainsi, le lecteur apprendra avec grand intérêt que les trajectoires des jets de Buck Danny s’inscrivent dans la continuité des travaux de Wassily Kandinsky ! Au lieu de mettre en avant la nature propre de la bande dessinée, ce procédé souvent forcé, se révèle contre-productif en entretenant ce vieux complexe d’infériorité que la narration graphique entretient vis-à-vis des disciplines réputées nobles car classiques.
En séparant l’objet planche de son album, le commentateur oblitère également une des spécificités majeures de la BD : son côté narratif et séquentiel. Une page n’est qu’un fragment d’une histoire et, aussi esthétique qu’elle soit, elle ne présente qu’une infime part de son ensemble. Finalement, Benoit Peeters, dans sa rafraîchissante postface, souligne bien les dérives possibles de cette, selon ses mots, fétichisation de l’original : «Isolée du récit dans lequel elle s’inscrivait, souvent privée de textes, la page se transforme en un objet décoratif bien plus que narratif. Encadrée, elle gagne en solennité ce qu’elle perd en humour et en impertinence. »