L
a bande dessinée, un passe-temps réservé aux enfants ? Vous qui lisez ces lignes, votre opinion doit être faite, au point de l’exprimer haut et fort. La BD érotique un genre mineur dans le 9ème Art ? Là, l’écran de la pudeur et la faculté plus ou moins assumée à se reconnaître au moins aussi hédoniste que cultivé risque de perturber l’intelligibilité de la réponse. Pour ceux qui préfèrent ne pas s’exprimer sans savoir, l’Anthologie de la bande dessinée érotique est apparue dans nos librairies il y a quelques semaines.
Dans ce livre, Vincent Bernière, éditeur de la collection Erotix chez Delcourt et surtout rédacteur en chef des numéros BD de Beaux-Arts Magazine, explore le spectre large de styles et d’époques qui pourront hanter les nuits (comme les songes diurnes) de tous ceux qui ont les sens en éveil. Quoi de mieux qu’une introduction érudite pour déculpabiliser, voire décomplexer le lecteur ? Le ton employé, enjoué et dynamique, évite de figer le propos sous une couche de vernis qui tiendrait de l’alibi inutile (« Chéri(e), c’est édité par Beaux Arts et au cours de la préhistoire, déjà… »). Non, quiconque aura déjà feuilleté rapidement le livre ne s’exonérera pas de ses utiles préliminaires avant d’aborder le sommet des réjouissances. Le vice se logera probablement dans la traque de quelques imprécisions plus que dans la capacité à tout assimiler, bouche bée.
Cette somme est décomposée en cinq parties, abondamment illustrées : Soft, Chic, Trash, Rigolo et Autobio. Ce qui n’exclut passerelles et mélanges entre les qualificatifs au sein d’une même œuvre. Chaque extrait d’album illustrant la thématique (quarante-trois au total) jouit d’une introduction qui resitue l’œuvre dans un contexte, une biographie, avec une touche de technique qu’il n’est pas question de sauter pour se jeter précipitamment sur les pages illustrées qui suivent. Outre l’intérêt de savoir doser l’attente avant d’entrer dans le vif du sujet, les textes de Vincent Bernière savent se rendre indispensables à la découverte des genres et des styles pour mieux les apprécier encore (ou pas). Inimaginable d’oublier le guide qui accompagne cette visite. Pour une fois, l’inventaire ne s'accompagne pas de vignettes jetées avec parcimonie mais bien d’extraits en planches complètes des albums choisis comme références.
Au final, la lecture, en plusieurs fois par souci de ménagement, s’achève sur un constat ambivalent, entre embarras et pointe de fierté. Cette sensation de connaître globalement tous les ouvrages exposés ici vient-elle du fait que l’éventail n’est pas si large et le catalogue si profond (si l’on se tient éloigné des productions sans classe ni personnalité) ou de celui d’être - au minimum, restons modeste – attentif à ce que peut proposer la bande dessinée ?
Toujours est-il que cette Anthologie de la bande dessinée érotique aura fière allure au pied du sapin, et qu’elle saura donner rose aux joues et étincelles dans la pupille à ceux qui la recevront.