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lors qu’il remet le corps sans vie de Malik Oussekine à l’Institut Médico-Légal, l’ambulancier a ces mots : "La machine à réécrire l’Histoire est en marche". Peut-être, toujours est-il que la version édulcorée servie dans un premier temps n’aura pas fait long feu. Aujourd’hui, c’est bien la notion de bavure policière qui reste attachée à cette funeste affaire. En marge des manifestations étudiantes de décembre 86, Malik Oussekine, vingt-deux ans, est tabassé à mort par la police, plus précisément par des membres du peloton voltigeur motocycliste. Cette unité, mise en selle après les événements de mai 68 pour disperser les manifestations, est composée de binômes qui se déplacent au moyen de deux-roues et dont le passager est muni d’une longue matraque.
Trente années plus tard, lorsque les auteurs conçoivent ce livre, Contrecoups, leur démarche n’est pas d’enquêter sur une évidence, mais d’essayer de rendre perceptible ce qui s’est passé durant cette nuit de décembre 1986, de lui conférer une réalité que le lecteur puisse s’approprier. Pour ce faire, ils vont construire leur récit à travers les trajectoires d’une dizaine de personnages dont le destin va être lié, de près ou de loin, le temps d’une soirée, à celui qui sera au mauvais moment, au mauvais endroit, avec les mauvaises personnes : Malik Oussekine (1).
Laurent-Frédéric Bollée, appuyé en cela par le dessin de Jeanne Puchol, résolument ancré dans l’époque, évoque l’air du temps (le journal Pif Gadget, le SIDA, l’émission Apostrophe…), donne un contexte. Tout comme dans sa bande dessinée Charonne - Bou Kadir, dont le point d’orgue est la soirée du 8 février 1962 - autre date tristement célèbre concernant les débordements des Forces de l’Ordre -, Jeanne Puchol alterne les ambiances à bon escient, notamment grâce à un art consommé du cadrage qui renforce la puissance des scènes où tout s’accélère, où la violence s’empare de l’humain, plaçant ainsi le lecteur en témoin ; mais pas seulement.
Dans son propos introductif, Laurent-Frédéric Bollée a écrit "Nous avons recréé la réalité pour mieux exposer ce fait divers qui a valeur de symbole - pour tenter d’en démonter les mécanismes, les ressentis, les blessures intimes". Sur ce point, la multiplicité des regards (étudiants, policiers, médecins légistes, ambulanciers, anonymes…) constitue un prisme remarquablement efficace. D’une part, parce que leur nombre légitime le fond de ce qui est narré (c’est précisément ce qui fait la force des reportages de Joe Sacco ou, pour sortir du seul cadre de la bande dessinée, du film Shoah de Claude Lanzmann). D’autre part, parce que cette diversité des points de vue permet d’embrasser ce drame sous ses différents aspects. Ainsi, les auteurs mettent en lumière les limites des visions des différents acteurs de pareils événements, chacun étant cloisonné dans sa fonction, son rôle. Toutefois, c'est en confrontant ces parcours qu'ils ont construit leur fiction et lui ont conféré sa vérité, une vérité indéniablement ancrée à proximité du vrai (Degas parlait de donner une idée du vrai avec du faux).
1/ Il ne sera pas le seul, cette même soirée de décembre 1986, Abdel Benyahia, un algérien de 19 ans, est tué dans un café par un policier ivre qui n’était pas en service. Pendant 48 heures, aucune information ne filtrera sur cette affaire.