Résumé: Faux accords, premier tome de Connexions paru en 2020, croisait les histoires de plusieurs personnages situés à un tournant de leur existence. Une opportunité professionnelle, une rupture douloureuse ou bien un accident les mettait souvent face à des choix de vie épineux. Pierre Jeanneau nous embarquait dans un récit choral servi par un dessin nerveux et un dispositif formel original, alliant décors fixes en représentation isométrique et procédés inspirés du théâtre et des jeux vidéos.
Châteaux de sable développe de nouvelles trouvailles graphiques et ajoute de nouveaux fils à la toile narrative. Des personnages apparaissant au second plan du premier tome deviennent les protagonistes de celui-ci, et inversement. À l’instar de Julian et sa sœur Audrey, dont la famille a été percutée de plein fouet par les événements des précédents chapitres, ou de Déborah et Samuel, dont la vie est chamboulée par l’arrivée de leur premier bébé. Tout ce petit monde gravite autour du Rossignol, un squat associatif à l’existence menacée.
Certains rêvent de fonder un foyer, d’autres luttent pour mettre à l’abri une famille d’exilés… Tous, à leur manière, doivent composer avec un environnement urbain qui leur résiste. Intense, émouvant et finalement apaisé, ce deuxième et dernier tome approfondit le portrait d’une génération qui tente de se bâtir un avenir.
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a href=https://www.bdgest.com/chronique-10047-BD-Connexions-Faux-accords.html>Faux accords s’était achevé sur le terrible accident de Judith. Quelques mois ont passé depuis ce cliffhanger et force de constater qu’il n’a pas empêché la planète de tourner. Chacun a continué ses activités et tente, qui sait, de réaliser ses projets et de rendre la ville plus agréable et plus égalitaire.
Récit choral à la construction originale et percutante, le premier tome de Connexions avait marqué les esprits lors de sa parution en 2020. Château de sable, volume qui clôture l’histoire, prend la suite et use du même mode narratif déconstruit et dynamique. Sur le fond, les péripéties de ces vingt- et jeunes trentenaires s’élargissent et des problématiques, telles que le droit au logement et les sans-papiers, sont abordées. En un mot et en très résumé, les intérêts s’éloignent un peu des nombrils alors que les héros s’engagent pour des causes plus grandes qu’eux.
Les liens (familiaux, amoureux et amicaux), les deuils, les naissances, le passé et le futur, Pierre Jeanneau explore l’âme de sa génération et ses interactions avec notre époque. Le projet était ambitieux dès le départ et, heureusement pour le lecteur, celui-ci s’avère très bien mis en place et canalisé. L’évolution thématique, en particulier, est à relever. De sujets très personnels, le scénario glisse tranquillement, imperceptiblement presque, vers des considérations plus globales et universelles. Ce faisant, le ressenti et la tangibilité de cette mini-comédie humaine en ressortent renforcés.
Cette transition «cachée» profite évidemment de l’extraordinaire mise en page et en scène de l’ouvrage. Le dessinateur change constamment sa focale, s’amuse avec la profondeur de champs et développe sa narration dans toutes les dimensions. Les anciennes discussions se surimposent aux nouvelles, le réseau de transport en commun sert de médiateur entre les différentes actions et les fondus au noir imposent le rythme. De plus, même si les cases hexagonales semblent apparaître ici et là sans aucune logique apparente, la lisibilité reste totale. Résultat, ce qui peut sembler paraître au premier regard comme un jeu de piste gratuit jouant sur les codes de la bande dessinée se révèle en fait être parfaitement balisé et pensé.
S’il est doté d’une plastique narrative acrobatique, Connexions est avant tout un véritable roman social d’aujourd’hui, doté d’une généreuse distribution très bien caractérisée. Pierre Jeanneau y démontre un véritable talent d’auteur doté d’une sensibilité précieuse et d’un sens de l’observation et de la synthèse incontestable.