Résumé: Après avoir raconté les débuts de la communauté de la Minoterie, Hervé Tanquerelle et Yann Benoît nous parlent de son évolution. Il faut maintenant essayer de la faire vivre, et pour cela, les communautaires se lancent dans la fabrication de petits objets artisanaux, sans succès au début, jusqu’au troisième salon des métiers à Paris et leur première commande de petites voitures en tissu. Le succès de leurs jouets est au rendez-vous. Mais la prospérité se paie, il faut maintenant s’organiser : comment gérer le quotidien, les tâches ménagères, le jardinage et les enfants lorsqu’il faut faire tourner ce qui devient une petite usine ? Il faut agrandir le site, il y a l’argent à gérer… Et il y a maintenant 18 enfants qui vivent dans la communauté. Hervé Tanquerelle donne la parole à l’un d’entre eux, la fille de Yann Benoît, devenue entre temps son épouse…
C
e deuxième tome arrive sur les étals à une période charnière pour le monde occidental. D’un côté, les conséquences d’une importante crise financière interrogent les vertus d’un système libéral débridé qui semble vouloir s’imposer comme modèle unique. De l’autre, les questions environnementales trouvent un écho sans précédent dans l’opinion publique du fait de la récente prise de conscience des potentiels effets du réchauffement climatique. Dans ce contexte, diverses propositions émergent, et certaines appellent à revoir nos modes de vie. Si les circonstances, et surtout l’époque diffèrent, c’est sans doute une démarche similaire qui a poussé, au-delà des mots, Yann Benoît et ses partenaires à rechercher, en pratique, une alternative.
La première partie des « entretiens » entre Hervé Tanquerelle, celui qui retranscrit par le médium BD, et son beau-père Yann Benoît, celui qui a vécu l’expérience de la communauté, se termine sur la journée porte ouverte qui va constituer une sorte de consécration pour l’alternative choisie par les membres de la Minoterie. Si cette rencontre marque, au niveau local, une acceptation, voire une reconnaissance, de ce mode de fonctionnement, elle revêt aussi l’allure symbolique d’un rite de passage. Ce projet, porté par la ferveur de l’installation résistera-t-il à l’épreuve du temps ? Cette aventure est-elle pérenne ?
Pour cet « album-réponse », Hervé Tanquerelle délaisse les oripeaux du « faire valoir » pour endosser celui de « l’inquisiteur ». L’image est sans aucun doute un peu forte, d’autant que la complicité entre les deux hommes semble évidente, mais elle exprime cependant bien l’évolution que prend la discussion. Face à lui, Yann Benoît ne se départit pas de cette malice et de cette bonhommie qui rendent l’homme attachant. Si le temps écoulé lui permet d’apporter un regard critique, il pose néanmoins clairement les limites de la pertinence et de l’objectivité de son propos : c’est de son vécu qu’il s’agit, et c’est donc sa vision des faits qu’il rapporte. Si ce regard unique seyait à merveille pour narrer un projet porté par l’ensemble, il se révèle moins adapté pour relater les fissures du groupe qui, par essence, auraient gagné à être exposées par une croisée des vues. Sont abordés les rapports avec l’extérieur, les incidences de la promiscuité, les divergences qui se creusent quant à l’idéal de départ, l’impact de l’évolution de la société… et rien n’est simple. Dans ce fatras de problématiques, une place importante est réservée aux enfants qui, au nombre de dix-huit, ne relèvent pas de l’anecdotique. Sur cet aspect des choses, Hervé Tanquerelle dispose d’un atout avec le point de vue de sa chère et tendre, élevée au sein même de la Minoterie. Dans l’absolu, ne sont-ils pas un peu les « souris » de ce « laboratoire » ? Dans cette suite d’idée, il apparait regrettable que le développement se cantonne à leur vécu quotidien sans aborder leur devenir. Cela aurait permis d’apporter un éclairage sur les incidences ou les bénéfices de cette éducation. Au dessin, Tanquerelle a indéniablement de l’or au bout des doigts (ce que ne démentiront pas les lecteurs du remarquable La vierge froide et autres racontars paru au beau milieu de ces deux albums). De son trait s’exhale une force tranquille et décontractée tout à fait en phase avec l'attitude de son beau-père, quand son lavis utilisé avec parcimonie donne, lui, la touche rétro maintenant indissociable de cette époque.
Après une première partie exaltante qui réveillait des plaisirs d’enfants et agitait des rêves d’adolescents, cette fin du diptyque est un peu plus amère, comme un rappel à une certaine réalité – adulte ? Toujours est-il que ce récit est particulièrement vivifiant en ce qu’il porte en son sein : une pincée d’utopie concrétisée.