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armi les châteaux de l’ancienne province du Rouergue, se trouvaient ceux de Rocmirail. En 1853, Louis Huret s’intéressa à leurs histoires mais surtout à celle de Luce qui vécut en ces lieux à la fin du XVIe siècle. A cette époque, Calvinistes et Papistes s’affrontaient dans des luttes sanglantes et Rocmirail avait la particularité d’accueillir en son sein deux seigneurs de confessions différentes : le vicomte de Mirail, converti à la Réforme, et Geoffroy Dalmayrac, resté catholique. La cohabitation entre les deux hommes s’effectue tant bien que mal jusqu’à la funeste nuit de la Saint-Barthélémy en 1572 pendant laquelle cinq mille protestants sont assassinés. Le conflit s’étend à tout le royaume et Geoffroy périt sur le bûcher. Luce, sa fille, est mariée de force à Abélard, fils du vicomte, les Mirail se rendant de cette façon maîtres de Rocmirail. Quelques années plus tard, le frère de Luce revient en ces lieux pour reprendre possession du château mais doit pour cela se heurter à Abélard. Les deux hommes meurent pendant leur duel. La jeune fille préfère alors porter le deuil de son frère plutôt que celui de son époux, s’opposant ainsi au puissant seigneur de Rocmirail. Le mythe d’Antigone de la Basse Marche du Rouergue est né.
Après Martha Jane Cannary et El Niño, Christian Perrissin, cette fois assisté de Déborah Renault, se penche de nouveau sur le destin d’une femme en quête de liberté. Basé sur des faits historiques et inspiré de la tragédie grecque de Sophocle, le récit est avant tout une pure fiction. Bien que relativement classique, il tire l’essentiel de sa force dans le personnage de Luce sur laquelle repose tout l’intérêt de l’album. Son abnégation et son courage en font un être exceptionnel, une véritable Résistante avant l’heure. Pour renforcer l’impression d’authenticité, l’auteur crée un témoin, Louis Huret, passionné de sa région natale et de la vie de Luce de Mirail en particulier.
Pour l’occasion, Christian Perrissin n’a laissé à personne d’autre le soin d’illustrer son travail. Le dessin a été réalisé en noir et blanc, au crayon gras, conférant à l’ensemble un effet parfois fantomatique et irréel. Les paysages, en début d’album, captent immédiatement l’œil, immergeant d’emblée le lecteur dans l’ambiance des châteaux et des vallées de l’Aveyron. Les personnages, ressemblant parfois à de magnifiques gravures, ont les défauts de leurs qualités. Esthétiquement réussis, ils possèdent en revanche des expressions figées, renforçant le côté dramatique mais donnant également une impression de monotonie.
Pour comprendre la signification du titre de l’album, dévoilée en toute fin d’ouvrage, il faut d’abord connaître l’histoire de Luce, racontée de fort belle manière même si l’aspect un peu vieillot pourrait plutôt faire penser à un joli livre d’images.