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ne plage, une enfant qui se laisse happer par son bonheur d'être là et ses parents qui flânent derrière. Vient l’heure de rentrer, les parents appellent l’enfant qui, tout à sa joie, à son émerveillement, ne bouge pas d’un pouce. La mère : « et si on la laissait là ? ». Le temps s’arrête quelques secondes. Sourire des parents, instant de connivence. « Sara ! » La petite fille accourt, hilare, et se jette dans les bras de sa maman. Rideau. L’arrière plan s’est assombri. Quelques années auparavant, le jour de la naissance de l’enfant, ses parents apprennent qu’il est « différent ».
Le cœur-enclume raconte à travers le prisme paternel les premiers jours qui ont suivi cette annonce. Pour aborder ce sujet délicat, Jérôme Ruillier opte avec finesse et intelligence pour un graphisme épuré et d’une grande douceur qui, paradoxalement, ne s’oppose pas à la violence du propos, mais au contraire sert à la dépasser. Par sa discrétion, le dessin laisse une place idoine aux mots et aux silences pour que le lecteur, confronté au contenu de cet album et aux questions qu’il ne manque pas de poser, puisse suivre un cheminement de pensée qui lui soit propre. L’idée n’est pas ici de juger, mais plutôt d’appréhender avec un regard extérieur le tourbillon de sentiments qui peut s’emparer de chacun face à pareille onde de choc. Par cette approche, cette bande dessinée dépasse son cadre initial et prend un caractère assez universel.
Emouvant, sans pour autant donner dans le larmoyant, Le cœur-enclume est de ces livres qui aident à la compréhension de l’autre, et peut-être encore plus, à l’acceptation des différences.