Résumé: Avant même de voir Clémence, on l'entend crier : elle est en train de faire fuir un « vieux mec » qui draguait des adolescentes tranquillement attablées à une terrasse. Elle apparaît immédiatement comme une héroïne flamboyante avec ses cheveux roux et son t-shirt rouge sang. Mais elle confie à une amie que sa colère la « dévore ». Elle ne sait même plus si elle existe en dehors de cette émotion débordante.
Toutefois, le récit que tisse pour nous Mirion Malle dépasse la question de la colère, de la rage qui nous habite. Ses talents de narratrice lui permettent d'explorer ce personnage dans toute sa complexité. Plus qu'un récit sur la colère, l'histoire de Clémence est une longue réflexion sur la manière dont on peut essayer d'habiter un monde patriarcal injuste et violent, dont on peut réconcilier les joies individuelles et les grandes rages collectives.
Au fil du récit, on suit Clémence au sein d'un groupe de parole pour victimes d'agressions sexuelles, dans ses premiers dates avec Imane, jeune danseuse qui va lui montrer comment se réapproprier son corps à travers la danse, et dans ses longues discussions captivantes et fertiles avec ses amies. Avec les femmes qui l'entourent, Clémence réfléchit à ce que l'on peut faire de nos colères. Les abandonner ? Rester passives, comme les hommes nous ont si souvent forcées à le faire ? Brûler de nos rages, quitte à se consumer ? De ces échanges émergent des réflexions d'une grande justesse sur la force du collectif - le grand sujet de l'oeuvre de Mirion Malle - et sur toutes les manières de survivre aux violences systémiques. Il y a ici une grande harmonie entre la force des idées scénaristiques (les effets d'échelle, le découpage des cases, les silences puissants...) et le trait de la dessinatrice qui se fait plus fort, plus assuré, plus puissant. Les émotions et les dialogues sont plus que jamais portés par ses couleurs et par ses jeux d'ombre et de lumière.
Clémence en colère vient clore une trilogie commencée avec C'est comme ça que je disparais et Adieu triste amour. Un passage émouvant, tant Mirion Malle a su accompagner les mouvements de notre génération : la découverte de la tristesse, de la violence, la douceur des amitiés et enfin la réparation, la guérison, celle que la fiction a le pouvoir de nous montrer. Nous voilà prêtes à vivre avec notre colère, sainement, et à entretenir ce petit feu en nous que la société a si souvent cherché à éteindre.