Info édition : Format 167 x 225 mm. Impression bichrome sur Fabriano Palatina, 140 grammes. Couverture souple bichrome sur Rives Vergé.
Résumé: Dans La Cicatrice, Gilles Rochier se penche sur la vie d’un jeune couple de trentenaire, Denis et Sophie, partagé entre le travail, la rénovation d’un appartement et la vie familiale. Denis et Sophie vivent en région parisienne, travaillent dans de grandes entreprises : peu de temps pour communiquer, pas de nuage non plus.
Un jour, Denis remarque une cicatrice sous son bras dont les causes lui échappent totalement. Accaparé par une vie professionnelle intense qu’il semble mener sereinement, c’est avec discrétion et obsession que Denis va tenter d’obtenir de la part de son entourage des indices et des bribes d’explications sur l’origine de cette cicatrice.
C'est le début d’une introspection, d’un retour sur soi et son passé qui commence.
Après le succès de son précédent ouvrage paru en 2011, TMLP (Prix révélation 2012 au Festival International de la bande dessinée d’Angoulême, Prix des Lycéens et apprentis Îles de France, Maison des écrivains 2012, Prix des Lycéens et apprentis Région PACA, Centre régional du livre, 2013), Gilles Rochier nous propose de nouveau une histoire dense et à fleur de peau, où le tragique pointe dans les interstices du quotidien.
« La Cicatrice aurait pu sortir avant TMLP ; je suis allé voir mon éditeur à Angoulême, il a trouvé plus pertinent de commencer par Ta mère la pute. Comme quoi, il avait raison. Ça aurait pu me faire mettre La Cicatrice de côté mais pas du tout, c’est devenu plus facile pour moi de travailler dessus avec ce que j’avais appris en faisant TMLP.
Depuis toujours, dans l’idée, le livre devait être anxiogène, un corps à corps avec le personnage, qu’on soit toujours avec lui. Plein de petites cases pour enfermer le lecteur avec Denis, dans la vie de Denis. Des cases fermées sur l’individu. Certains vont dire que je me met en danger mais j’avais envie de me frotter à ça, un travail bien différent de TMLP, je me suis peut-être complètement trompé mais bon, c’est comme ça, ça m’a pris le temps mais c’est fait, j’assume.
La Cicatrice, ça parle du monde du travail, à une époque où les téléphones portables existaient pas, où y avait pas encore eu une démultiplication des moyens de communication, d’information. On a fait croire à des jeunes cadres que tout se passait au travail, dans le travail, en fait les mecs étaient très seuls, ça parle de ça, de la solitude dans la société, dans la sphère intime, dans la famille comme dans TMLP. On y retourne, la solitude d’un enfant, avec des parents divorcés, des rapports intimes assez distants, seul dans son couple ; ces mecs, on leur a dit de s’investir dans leur travail, dans leur maison mais ils voyaient pas le sens. Le travail devait être tout, aujourd’hui, c’est plus pareil, on essaie davantage de se distancier de ça. Denis a une bonne éducation, il est poli, il donne l’impression d’être le mec responsable à qui on peut tout confier, et il va forcément bien Denis. Mais c’est un rôle qu’on lui a donné. » - Gilles Rochier
D
enis donne le sentiment de mener une existence plutôt paisible : la trentaine, une vie de couple normale, pas encore de beaux enfants, mais des beaux-parents à dîner ; il est cadre. Cadre moyen, dans une entreprise moyenne. Un contrat important en cours de finalisation, la pression qui monte chez ses collègues, pas chez lui, à tel point qu’elle semble même lui glisser dessus. Au moins deux raisons à cela : d’une part, ça ne semble pas dans ses habitudes de douter, d’autre part, il est perturbé par tout autre chose… Une cicatrice.
Auteur ancré dans le concret (TMLP), Gilles Rochier emprunte ici le chemin de L’inquiétante étrangeté de Freud, sans sortir du réel, comme l’a fait Charles Burns avec les mutations corporelles et collectives de Black Hole. La cicatrice est individuelle et s’impose à Denis tel le grain de sable dans une mécanique bien huilée : elle dérègle de l’intérieur, déstabilise et, peut-être, révèle. Sa perception des choses s’altère, son comportement n’est plus nécessairement approprié, il inquiète.
Une voix : Denis ! Denis !!!?
Lui : Hein… Oui.
La voix : Ça va ? Tu as l’air ailleurs.
Lui : … Non. Juste un peu fatigué.
Comment expliquer l’inexplicable ? Tout s’accélère, se brouille (sensation particulièrement bien rendue, tant par le jeu des phylactères qui se bousculent dans certaines cases que dans la vidéo de présentation de l’album). Le besoin de comprendre ce qui lui arrive vire au désordre et à l’obsession. Prémisses d'une dérive absurde et solitaire qui peut évoquer, par certains aspects, ce que racontent Gérard Garouste (avec Judith Perrignon) dans L’intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou ou Delphine de Vigan dans Rien ne s'oppose à la nuit.
Ce beau livre, édité par la maison d’édition 6 pieds sous terre dans la collection Monotrème, peut déconcerter par son côté abrupt, en ce sens que le coup de fusil est déjà parti alors que le contexte n’est pas encore posé. Par ce procédé, Gilles Rochier initie un processus à l’issue incertaine, avec une trajectoire et des clés à saisir au vol comme seules indications d’itinéraire. Au lecteur de s’approprier le récit.
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Les avis
Erik67
Le 17/11/2020 à 13:38:13
L'auteur introduit un processus assez intéressant. Nous avons un homme qui est bien ancré dans la vie avec une jolie femme et un boulot de cadre. Certes, ses parents sont divorcés et il faut se taper ses beaux-parents mais concrètement tout va bien. Or, cette mécanique bien huilée va totalement déraper à cause d'une cicatrice ou plutôt l'absence de souvenir. D'autres diront que c'est la pression du travail ou de la famille.
Je le dis tout net : je n'ai pas aimé la fin car on ne saura sans doute jamais. Ou du moins, nous devinons la métaphore du basculement vers une certaine forme de maladie psychiatrique. Je laisse toujours une place importante au besoin de comprendre. L'irrationnel me fait peur comme à Denis, le personnage principal de cette BD intimiste dont le thème est la crise identitaire dans un monde où l'on écoute plus les autres.