Résumé: Le célèbre conte des frères Grimm du Joueur de Flûte de Hamelin raconte comment un homme a su charmer des centaines d'enfants avec une mélodie ensorcelante, afin de tous les mener jusqu'à la noyade. Pour Karl Stieg et les clients du café « Chez Adolf », ce conte a une résonnance particulière en cette année 1945, où la défaite allemande n'est plus qu'une question de temps...
L
’armée allemande est débordée, mais le troisième Reich ne capitule pas. À court de forces combattantes, il enrôle les hommes âgés de moins de soixante ans. Karl Stieg, maintenant directeur d’école dans une ville de province, est appelé sous les drapeaux. Quelques années plus tôt, il a adhéré au parti, avant de retirer son insigne. Il a tout de même rendez-vous au front où il se rend, le cœur en berne. L’homme n’a en effet aucune préparation physique, militaire ou psychologique pour prendre les armes. Lui et les autres quinquagénaires sont encadrés par de jeunes militaires fanatisés. Le choc des générations et la différence de lecture de la situation sont manifestes ; le pédagogue et un camarade ont tôt fait de déserter, avant d’errer dans un pays ravagé.
L’album s’ouvre sur une jolie mise en abyme. Le duo de bédéistes y présente Le joueur de flûte de Hamelin ; dans cette légende, notamment transcrite par les frères Grimm, un musicien ensorcelle les enfants qu’il conduit à la rivière pour les noyer.
Rodolphe conclut donc son projet couvrant douze années terribles, celles allant de l’élection du Führer à l’échec de son programme. L’auteur dépeint la guerre par le petit bout de la lorgnette : celui de clients du café Chez Adolf. Loin du pouvoir et naïfs, ils ont écouté le leader charismatique, avant de déchanter et de lui tourner le dos. Ils n’apparaissent pas méchants ou opportunistes, ils se sont simplement laissés porter par leur époque. Une fois cette parenthèse fermée, la vie reprend son cours, comme le scénariste le démontre dans les dernières pages où il résume la suite des choses pour une douzaine de personnages croisés au fil des quatre tomes.
La trame de cette ultime livraison ne convainc pas tout à fait. Un peu comme si, le sort étant jeté, il n’y a plus de réelles tensions. Il est toutefois difficile de croire qu’il n’y ait pas d’embarras, de honte ni de ressentiment. Mais dans ce livre, les malaises semblent instantanément dissous. Peut-être est-ce parce que cette conclusion se concentre sur un seul acteur, plutôt que sur les interactions entre les habitués du bar. C’est d’ailleurs dommage.
Le dessin de Ramо́n Marcos demeure de belle tenue avec un trait réaliste collant bien au propos. Le jeu des comédiens se veut tout en retenue ; dans leurs regards se lisent l’incompréhension et le désarroi. Il n’en faut pas beaucoup plus pour traduire l’humeur des gens alors que leur pays est passé de l’euphorie conquérante à la défaite cinglante. Les décors, soignés, révèlent l’esprit des lieux, celui des villes bombardées, mais également celui de l’appartement du protagoniste miraculeusement épargné.
Un angle intéressant et nouveau pour rappeler un conflit dont l’onde de choc continue de se faire sentir. Il y a beaucoup d’indulgence dans cette histoire, laquelle exprime la guerre du point de vue de l’Allemand moyen.