Résumé: 1974. Ernest, petit voyou de Harlem, navigue de combine en combine pour rembourser une dette à de dangereux malfaiteurs. Grâce à un concours organisé sur une radio privée, il gagne un voyage pour assister au « combat du siècle » entre Mohammed Ali et George Foreman, à Kinshasa ! Une aubaine pour Ernest qui va pouvoir se mettre au vert et renouer avec ses racines auprès de ses « frères africains ». Mais il est loin d’imaginer dans quel état se trouve le Zaïre au plus fort de la guerre froide... Dirigé d’une main de fer par le président-dictateur Mobutu, gangréné par la corruption, le pays est devenu un véritable nid d’espions et de politiciens véreux. Des individus sans scrupule qui n’ont rien à envier aux pires truands de Harlem…
U
n voyou afro-américain d'Harlem endetté, un « diplomate » belge en cheville avec un dictateur, une femme qui met ses charmes et ses oreilles au service de la police, divers services secrets aux aguets et un combat de boxe. Le point commun à tout ça ? Kinshasa !
Automne 1974, alors que Mohamed Ali doit ronger son frein pendant cinq semaines, le temps pour George Foreman de soigner son œil et être apte pour leur match, Ernest, arnaqueur à la petite semaine, gagne à un concours radio le droit d'assister au « Rumble in the Jungle » qui aura lieu au Zaïre ! Pour lui, c'est l'occasion rêvée de quitter Harlem et les embrouilles, surtout que ses créanciers s'impatientent. Là-bas, ils ne viendront pas le chercher et si quelqu'un essaie, il sera difficile à débusquer. Après tout, l'Afrique, c'est la terre de ses ancêtres, il se fondra sans difficulté dans la masse... Sur place, Blanche rêve de faire le trajet inverse. Marre d'être exploitée, marre de la corruption et des injustices, elle rêve d'Amérique et d'être vraiment libre de vivre comme elle l'entend.
Alors sous l'impulsion du « Citoyen Président-Fondateur » Mobutu, le pays est le centre de toutes les attentions. Ses richesses et les envies d'indépendance de son grand voisin, l'Angola, attirent les regards et en font un repère d'espions, américains, portugais ou belges. Pendant que, sur le ring, les deux stars de la boxe se disputeront le titre de champion du monde des poids lourds, en coulisse, c'est l'avenir de cette région qui pourrait bien se jouer.
Thierry Bellefroid, journaliste de formation, propose avec Chaos debout à Kinshasa une intrigue à tiroirs. Dans un contexte politique tendu, sur fond de guerre froide, il choisit de mêler fiction et réalité pour composer un récit prenant. Tout au long des 112 planches, le scénariste construit une histoire dense. Les Don King et consorts y côtoient des personnages imaginaires dont les vies s'entrecroisent, se heurtent et se mélangent avec une grande fluidité. Utilisant ce combat ultra-médiatisé comme décor, l'auteur brosse un portrait des coulisses du pouvoir et de ces acteurs. Peu de temps avant, le dictateur a entamé la « zaïrianisation » - retour à l'authenticité africaine - du pays. Dépeint comme froid, hors réalité, il est totalement obnubilé par ce retour aux valeurs et poussé par son mépris pour les anciens colons (parfaitement résumé lorsqu'il lance un savoureux : « Je me fous du Portugal comme de ma première Belgique » ). Les nations occidentales n'échappent pas à la critique ou la caricature : elles sont présentées comme paranoïaques ou faussement calculatrices et on découvre leurs agents perdus en conjectures, s'épiant les uns les autres, pour, la plupart du temps, ne pas savoir quelle conduite tenir. Avec un tel contexte géopolitique et un cadre aussi fouillé, il aurait été dommage que le rythme ou le suspense ne soient pas à la hauteur. Il n'en est rien. En plus de faire preuve d'une belle maîtrise narrative et bien que la tournure des faits soit connue (l'Angola gagnera son indépendance en 1975, Mohamed Ali récuperera sa couronne grâce à ce combat et Mobutu gardera la sienne jusqu'au début des années 90), Thierry Bellefroid arrive à tenir le lecteur en haleine jusqu'au grand soir et les dernières pages.
Dans la lignée de son précédent album, Madame Livingstone, Barly Baruti propose un style réaliste rehaussé d'aquarelles splendides. S'il peint avec aisance Kinshasa, où il vit, ses représentations de New York et plus particulièrement Harlem sont également réussies. De même, les différentes ambiances, des bars à Rumba aux salons de la présidence en passant par les chambres d'hôtel ou le marché de la capitale, profitent pleinement du traitement en couleurs directes. Toutefois, c'est sur les visages que le dessinateur excelle : tous les protagonistes célèbres sont reconnaissables en un clin d’œil et chaque expression, chaque regard est saisissant. Si l'on pourra relever le manque de prise de risque dans son découpage, sobre et efficace, l'artiste en profite pour croiser les cases et souligner à son tour ces destins qui s'entremêlent, sans pour autant perdre en lisibilité.
Plongée romancée dans les dessous d'un combat de légende, très joliment mis en images, Chaos debout a Kinshasa est un thriller politique plaisant combinant habilement histoire et imaginaire.