Résumé: C'est l'un de ces petits villages qui n'a jamais eu droit à sa carte postale. Et pourtant... L'endroit fait parler de lui jusqu'au sommet de l'État, la zone est quadrillée, ses 80 habitants surveillés. À Bure, 85 000 mètres cubes de déchets radioactifs doivent être enfouis à 500 mètres sous terre et y passer les cent mille ans à venir. Pour l'État français, l'enjeu est colossal : il en va de la survie de l'industrie nucléaire. De gré ou de force, ce projet titanesque doit aboutir.
Face à ce rouleau compresseur, la Meuse n'était pas censée résister. Les millions d'euros déversés sur le territoire devaient faire taire la contestation. En vain. À mesure que celle-ci s'intensifiait, Bure est devenu le théâtre d'une sidérante répression. Entre clientélisme et autoritarisme, le plus grand projet industriel d'Europe avance au mépris de la démocratie.
C'est ce que révèle l'enquête implacable des journalistes Pierre Bonneau et Gaspard d'Allens mise en scène par Cécile Guillard.
«
La filière nucléaire a bâti un appartement sans toilettes. »
Que faire avec les résidus radioactifs ? Dans le bon vieux temps, il était possible d’en disposer dans les océans, mais ce n’est malheureusement plus permis, paraît-il que les barils rouillent et laissent fuir les contenus. Les stocker sur la Lune ? Les balancer dans le Soleil ? Mais non, pas besoin de chercher si loin, il suffit de les entreposer à Bure, dans la Meuse, une des régions les moins peuplées de France, là où la capacité de mobilisation de la population est limitée. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs y construira un réseau de galeries long de deux cent soixante-cinq kilomètres. Les scientifiques sont catégoriques, la roche contiendra toute fuite pendant cent mille ans. Qui dit mieux ?
La cause n’est pourtant pas gagnée d’avance, les promoteurs prennent donc les grands moyens : ils investissent des millions dans l’économie locale, développent du matériel pédagogique distribué dans les écoles et collaborent avec des influenceurs actifs dans les médias sociaux. Les militants s’entêtent tout de même ; du coup, le débat se transporte dans les cours de justice, puis les gendarmes, l’armée et les brigades antiterroristes s’en mêlent.
Cent mille ans, Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires est le résultat d’une enquête journalistique menée par Pierre Bonneau et Gaspard D’Allens, lesquels démontrent que la proposition n’a pas vraiment de sens. Pour arriver à cette conclusion, les deux hommes ont rencontré tout le monde et consulté tous les documents. Ils mettent par ailleurs en évidence l’arsenal de stratégies déployées pour manipuler les habitants. Cet aspect s’avère d’ailleurs le plus fascinant.
Dans ce reportage, paysans, écologistes et la plupart des politiciens régionaux conviennent que le projet est indéfendable. Et ils ont probablement raison. Il aurait néanmoins été opportun d’entendre les arguments de ceux qui ont choisi le lieu et qui maintiennent que cet endroit demeure le meilleur, faute de quoi la démarche s’apparente davantage au pamphlet qu’au journalisme. Un avertissement en début d’album indique du reste que les journalistes se sont engagés dans la lutte. Ils protestent beaucoup, mais ne proposent pas vraiment d’alternative ; l’Hexagone ayant adopté cette forme d’énergie, il faut bien se débarrasser des matières contaminées. Si elles ne sont pas traitées en Lorraine, cela devra se faire ailleurs.
Les illustrations de Cécile Guillard se révèlent plutôt chouettes. Son trait, tout en rondeurs, traduit admirablement les émotions des protagonistes. Ses couleurs à l’aquarelle sont aussi très réussies ; tant pour magnifier les verts pâturages que pour dramatiser la menace et la violence de certaines situations. Il y a un peu d’Edgar Munch dans son travail, ce n’est pas pour rien qu’une vignette reprend son célèbre Cri.
Un ouvrage intéressant, qui aborde des enjeux d’aujourd’hui. Au premier chef le nucléaire, mais également le dépeuplement des campagnes et, surtout, la manipulation politique.
Les avis
Erik67
Le 23/06/2021 à 08:15:04
Après avoir lu dernièrement des BD qui traitaient sur le nucléaire et plus précisément sur l'accident de Fukushima au Japon, voilà que je me plonge dans la gestion des déchets radioactifs produit par les centrales nucléaires françaises.
Il s'agit d'une enquête mené par deux journalistes indépendants qui parle du village de Bure (82 habitants) dans la Meuse où L'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) compte enfouir à 500 mètres sous terre 85.000 mètres cubes de déchets nucléaires. C'est situé en Lorraine dans un des départements les moins peuplés de France victime des crises successives, de la fermeture des industries, de la désertification.
Visiblement, les rares habitants n'en veulent pas et organisent des manifestations violemment réprimés par les forces de l'ordre. Cependant, la plupart des élus ont été acheté à coup de subventions massives pour financer leurs projets. Des millions ont été déversé sur ce territoire afin de faire taire toute opposition.
Maintenant, et à titre personnel, je pense qu'il vaut mieux les enfouir dans un endroit très peu peuplé que densément peuplé. Certes, on me rétorquera qu'il vaut mieux ne pas les enterré du tout mais c'est impossible de les larguer sur la Lune ou de polluer les océans, ou d'arrêter net avec le nucléaire en état actuel des choses. Il faut faire avec et trouver la moins pire des solutions car je crois que nous ne pouvons pas nous passer d'énergie pour pouvoir vivre. C'est un débat sans fin, j'en conviens. Ce qui est en cause dans la BD; c'est la manière de faire de l'ANDRA qui est passé en force sans tenir compte des revendications locales comme la tenue d'un référendum. La démocratie semble avoir été bafouée.
Par exemple, on apprendra que le tribunal de Bar-le-Duc a été sans concession contre les opposants de ce projet. C'est tout à fait abject comme la justice peut être utilisée par les plus riches afin d'imposer son point de vue. Même ma ligue des droits de l'homme a conclu dans son enquête sur un véritable harcèlement mené par les autorités afin de criminaliser les positions des manifestant au projet. En conclusion, une très sévère répression alors qu'il s'agit de la vie et du futur de ces habitants (100.000 ans d'enfouissement avec les dangers que cela peut engendrer).
Bref, voici une BD militante et partisane qui explique clairement les choses et qui argumentent fort bien sur des faits vérifiables. Un excellent travail qui nous permet de pousser un peu plus loin la réflexion sur la gestion du nucléaire.