«
Et si toute cette histoire m’est arrivée, je la dois au moins autant à l’absurdité de ce travail, qu’à une absence coupable d’engagement politique ». Ces propos flottent dans l’air quand Lionel, ersatz de cadre parisien employé dans un cabinet anglo-saxon d’audit financier, quitte son frère qui a repris la ferme familiale. Jugez par vous-même du hiatus dans la fratrie !
La couverture en dit long : Lionel, puisque c’est lui qui y figure, parait complètement perdu, sa cravate et sa mallette, habilement mises en surbrillance - l’auteur y reviendra -, ne lui semblent d’aucun secours dans le gigantisme de ce décor industriel. C’est l’histoire d’un usurpateur, qui ne dupe personne, sinon lui-même, et encore, par intermittence. Envoyé en mission d'audit comptable à Villars-le-Moutier, il va y croiser Simon qui va agir en élément catalyseur, le placer face à son incompétence - de cela il s’accommodera fort bien - et face à son inconsistance - à cela, il sera réceptif, mais non armé culturellement pour s’y confronter. Or, comme l’a dit Mao Tsé-Toung dans Le petit livre rouge, « la révolution n’est pas un dîner de gala ». Il sera question d’acte fondateur raté : si l’acte est réussi, aussi fort et symbolique soit-il, il n’en est pas moins littéralement vain, vide de sens profond. C’est là qu’il n’est pas anodin de faire le rapprochement avec Kirkenes, paru en début d’année chez Les enfants rouges, scénarisé par Jonathan Châtel et dessiné par Pierre-Henry Gomont qui opère ici seul. Il était déjà question de catalyse, sauf que celle-ci intervenait après l’acte, alors qu’ici, elle en est la conséquence.
La lecture de Catalyse est particulièrement agréable. Non seulement, l’ensemble fonctionne bien, l’organisation des séquences est judicieuse et la narration rythmée, mais surtout, rien de ce qui est donné à voir et à interpréter n’est anodin, ce qui confère une densité certaine à cet ouvrage. Ainsi, le néant télévisuel qui agrémente la chambre d’hôtel où réside Lionel fait clairement écho à la vacuité de son quotidien : il est l’enfant parfait de ce monde du futile qui trompe si mal l’ennui. Tout est ainsi géré avec une juste mesure par Pierre-Henry Gomont, à l’exception, peut-être, du caractère paroxystique du final qui occulte un peu l’autre fin, plus subtile, qui se joue à distance entre les deux frères.
L'année 2011 a vu paraître les deux premiers albums de Pierre-Henry Gomont, dont celui-ci pour lequel il était seul aux commandes. L’un comme l’autre ont permis de voir de belles choses. Un auteur à suivre, comme il se disait dans le temps.
Les avis
Erik67
Le 05/09/2020 à 00:46:11
Catalyse est une histoire assez originale dans son concept. Elle commence par nous décrire un homme assez commun qui fait semblant d’être un spécialiste de son métier d’auditeur comptable alors qu’il n’a manifestement pas le niveau. C’est une critique à peine voilée du monde professionnel où certains réussissent à passer les mailles du filet de l’incompétence. Il est rare de nous présenter un personnage principal sous cet aspect plutôt négatif. J’ai plutôt apprécié la sincérité du propos.
Pour autant, dans ses déboires, on pourra le trouver assez attachant. Ce qui est plutôt remarquable, c’est le chemin que va nous faire accomplir l’auteur à travers ce personnage sans réelle conviction politique pour nous démontrer son idée finale. Le petit problème est que le passage à l’acte n’est pas vraiment convaincant. On se dit que même sous l’influence d’un collègue marqué politiquement, c’est difficile de passer à une telle extrémité. Et pourtant, la récente actualité d’une tuerie sans précédent au nom d’une idéologie religieuse est là pour nous rappeler que les influences peuvent être déterminantes.
La lecture pourra s’avérer un peu plate par moment où de longues cases sont consacrées à de longues journées ennuyeuses de travail. Je pense que c’est bien l’effet voulu. Au final, on ressort un peu incrédule de cette histoire. La moralité ne sera pas sauve. C’est une œuvre à découvrir mais la possession n’est pas indispensable.
Hugui
Le 28/02/2012 à 23:26:25
La première lecture de cette histoire a été difficile pour moi car le personnage est vite antipathique dans sa médiocrité et la fin pas très compréhensible ni très crédible. Certes à la réflexion cela pose des question sur l'humanité mais c'est trop loin de moi pour que ça m'interpelle.
A relire pour en découvrir tout le suc, les dessins sont très adaptés au roman graphique. Intéressant mais pas très plaisant.