Le 03/10/2025 à 23:31:06
"Le cas David Zimmerman" mélange le fantastique au thriller, au genre dramatique avec aussi un côté style "tranche de vie", un mix des genres qui fait de cette bande dessinée une œuvre originale. Ainsi, son postulat de départ amène à de nombreuses curiosités : le personnage principal, David interchange/switche son corps avec une jeune femme en lui faisant l'amour. Avec cet élément fantastique, les frères Harari (Lucas et Arthur) proposent une nouvelle vision de ce qu'on aurait pu s'attendre de ce genre de récit en recentrant son propos de manière intimiste ; il s'agit alors plus d'une quête interne, que d'un thriller haletant à la recherche d’un "bourreau", ce qui pourra décevoir certains lecteur dans l'approche qui n’est pas classique. Mais au final, ce choix scénaristique permet une nouvelle approche qui à d'autant plus de force et que j'ai apprécié, car il ne rentre pas dans les codes tout fait du Polar ou du Thriller. Les personnages sont entiers, possèdent une personnalité qui les rend très humains ; et même s'ils ont changé de corps, ils incarnent encore plus leurs tempéraments respectifs, c'est très habile. Dans la bande dessinée, il y a également de belles idées auxquelles je n'aurais pas pensé et qui permet un renouveau. Côté dessin, les couleurs sont froides et cela joue sur l'ambiance, avec de (trop) nombreux plans d'ensemble qui permettent de capter l'environnement et l’atmosphère générale, les auteurs n'hésitent pas à ajouter des éléments qui rendent l’univers d’autant plus pesant comme si les protagonistes était sous surveillance en permanence, ainsi que de nombreux messages qui font l’actualité : Free Gaza, messages féministes, manifestations CGT. Les personnages répondent aussi au même style rectiligne que le reste, c’est parfois un peu figé mais ils prennent vie autrement. De temps à autre, le lecteur est un peu trop accompagné dans la démarche de compréhension du récit, mieux vaut ça que le contraire, mais le principe de changement de corps expliqué entre David et Samia ne mérite pas nécessairement autant d'explications, car on comprend rapidement en tant que lecteur ce qu'il se passe et dans quel bourbier ils se trouvent. Par son choix scénaristique significatif et différent, les frères Harari proposent quelque chose de moderne et nouveau, n'attendez pas à ce qu'il réponde à toutes vos questions, l'approche est plus personnelle et fataliste. Pour ma part, j’ai bien aimé.Le 15/05/2025 à 03:45:35
De la BD snobinarde pour gauchistes? C'est à peu près ça. J'avais beaucoup aimé la première BD d'Harari, L'Aimant, et un peu moins sa deuxième, La Dernière rose de l'été, quoique l'album était demeuré divertissant. Le cas David Zimmerman présente beaucoup de messages ici et là, soit dans les dialogues, soit dans les décors, qui sont des symboles de la gauche politique moderne. Les frères Harari parsèment leurs pages de messages explicites sur le mouvement #metoo, sur Gaza, sur l'avortement, sur la misogynie, sur la transphobie, etc. Le scénario de l'histoire lui-même est plus ambigu. David se retrouve dans un corps de femme, et d'autres personnes se retrouvent aussi dans le corps de gens avec qui ils ont couché, mais c'est présenté comme étant surnaturel, ou extraterrestre, ou viral, ou on ne sait pas trop. Est-ce un commentaire sur l'identité de genre? Je ne l'ai pas vu comme ça, mais ça doit dépendre de notre biais idéologique. Et en tenant compte de tous les autres messages à teneur politique de l'album, c'était probablement l'intention des auteurs. Un des gros problèmes de l'album réside dans son absence de conclusion. L'album se termine sans explication, sans véritable dénouement... Il s'est passé quelque chose avec David Zimmerman, et... on ne saura jamais quoi. Finalement, ce sont les déambulations de deux êtres humains qui cherchent à comprendre, mais qui finissent par se résoudre à ne jamais comprendre. Je n'aime pas non plus quand on prend les lecteurs pour des idiots. Quand Samia doit expliquer en long et en large sa théorie à David, il me semble qu'on comprend dès le départ de quoi elle parle. Mais pour être certains que les lecteurs comprennent, les frères Harari font passer David pour un idiot fini afin de pouvoir tout nous expliquer. C'est lourd. Une BD qui se veut artistique et intellectuelle, mais qui finalement ne présente rien de particulièrement percutant ou nouveau... et qui prêche pour sa paroisse.Le 29/04/2025 à 21:33:05
C'est invraisemblable et pourtant on y croit. L'histoire emporte le lecteur dans ce récit improbable de changement d'identité, de sexe. Le scénario est d'une originalité folle. il nous ramène un peu à la phrase de Rimbaud "Je est un autre". Se connait-on vraiment? Les autres nous connaissent-ils? Jouons-nous des personnages? Cette histoire est captivante et elle permet à la fin une vraie prise de distance. Les dessins dépouillés, avec beaucoup de lignes géométriques ajoutent à la froideur et la dépersonnalisation de l’environnement. Mais l'auteur a su donner vie aux personnages par les regards et les attitudes. La mise en page, le rythme du récit sont très réussis. Les 360 pages permettent à l'histoire de se développer "tranquillement". Un livre à lire plusieurs fois. Gros coup de cœur une des meilleures BD récente!Le 06/01/2025 à 09:31:01
Une BD aussi prenante que troublante sur l'identité, le genre, la marginalisation et l'exclusion. Si les cent trente premières pages (!) se lisent avec un certain plaisir sans toutefois être totalement accrocheuses, tout s'accélère à partir du moment où "Elle" retrouve "Lui", et il est alors impossible d'arrêter la lecture avant la fin de cette histoire ! La ligne claire très sobre et la colorisation plutôt terne créent une ambiance froide, triste et angoissante, qui correspond bien au ton du scénario, aussi étrange que déprimant. Lecture fortement conseillée !Le 21/12/2024 à 11:43:57
Cela fait des jours que j’essaye d’écrire en vain un avis sur « LE cas David Zimmerman ». C’est dire si j’ai été déconcerté par ce roman graphique dans lequel tout est bizarre : le sujet, le dessin, l’ambiance générale. Commençons par le sujet. David Zimmerman, un photographe parisien, se réveille un matin dans le corps de l’inconnue avec laquelle il avait fait l’amour la veille, comme sous hypnose... Même si le thème de l’échange de corps est loin d’être nouveau, ce postulat de départ est déjà dur à accepter. Mais ce n’est que le début, et ce que va découvrir David par la suite sera de plus en plus étrange. Dans la première moitié du récit, l’enquête méthodique qu’il va mener pour comprendre ce qui lui arrive prend des airs de thriller. Elle s’avère bien écrite et rythmée, malgré l’invraisemblance de la situation. Invraisemblance accentuée par le background 100% réaliste, qui fait qu’en dehors du cas David Zimmerman, tout est parfaitement normal à Paris en cette année 2023. Le dernier tiers de l’ouvrage est en revanche beaucoup plus sombre. Le propos se fait plus cérébral, le peu d’action cesse, toute lueur s’éteint. Au fur et à mesure que les protagonistes voient leurs chances leur échapper et qu’ils se font happer dans un abîme existentiel, un désespoir tenace finit par empoisser le scenario. Le dessin, lui, s’est affiné depuis « L’aimant » et « La dernière rose de l’été ». Il est encore plus élégant mais toujours aussi figé, dans un style qui rappelle par moment celui de Daniel Clowes. On sait Lucas Harari féru d’architecture. Pourtant, son goût du détail et de la perspective ne sert ici qu’à reproduire l’environnement banal des rues parisiennes, sans que rien ne soit visuellement percutant, contrairement à ses deux ouvrages précédents. Heureusement, quelques pleines pages bienvenues offrent à l’œil de belles respirations, et de savants cadrages viennent dynamiser des planches ternies par une colorisation, certes pertinente, mais assez pauvre. L’ambiance générale, enfin, est passablement dépressive. Les décors sont froids. Les personnages sont presque statiques, peu expressifs, et semblent engourdis, frappés de psychose. Les auteurs ont construit leur récit sur des sujets d’actualité comme le genre, l’identité, la judéité. Toutefois, ils ne font que les survoler en restant à la surface des choses. Ils n’apportent aucune réponse, ne proposent aucun approfondissement, aucune réflexion. Comme si ces problématiques sociétales n’étaient que de simples éléments narratifs. Les frères Harari se placent volontairement dans une sphère intimiste, intériorisée, distanciée, où leurs personnages éprouvent leur expérience sans renvoyer d’émotions. Personnellement, je n’ai ressenti que très peu d’empathie pour eux. Il n’y a pas de légèreté non plus. D’où la tonalité neurasthénique. Pas d’humour, pas de joie. Pas de sexe non plus d’ailleurs ! Admettons qu’une aventure pareille m’arrive, je passerais à coup sûr un certain temps à « découvrir » mon nouveau corps et ses potentialités... Comme tout le monde, je crois. Il aurait donc été intéressant de le voir en image. Mais cette dimension sexuelle est étrangement absente. Ou, quand elle intervient, elle est subie, vectrice de souffrance et de peine infinie. Cette pesanteur maussade donne à l’ensemble un aspect terriblement pessimiste. Renforcé par le fait que de nombreuses questions soulevées par l’intrigue resteront non résolues à l’issue des 360 pages. Ça, c’est malheureusement l’une des signatures de Lucas Harari, que j’avais déjà dénoncée dans « La dernière rose de l’été ». J’ai vraiment du mal à cautionner ce choix délibéré de laisser ainsi les choses en suspens, surtout quand on construit un scenario aussi complexe et élaboré. Pour autant, la chute est soignée. Et cette fin, quoique difficile à comprendre, est assez réussie. Elle décontenance à sa façon mais permet d’ouvrir silencieusement de nouvelles perspectives. En conclusion, je ne peux certainement pas dire avoir eu un coup de cœur pour cette histoire kafkaïenne, troublante, dérangeante et clivante. J’en suis ressorti perplexe et légèrement frustré par un arrière-goût d’inachevé. Cependant, je reconnais que c’est un album particulièrement marquant que j’ai envie de défendre. Il confirme Lucas Harari comme un auteur de premier plan, en passe de devenir un maitre dans ce genre polar fantastique dont il contribue à remodeler les contours. « Le cas David Zimmerman » en est un exemple singulier. Je suis content de l’avoir dans ma bédéthèque et je le garderai précieusement. Bien que certains aspects m’aient dérangé, je l'ai dit, je pense objectivement que c’est une excellente BD, bénéficiant d’un beau travail éditorial de Sarbacane (par contre, le faux dos toilé, qui est en réalité en papier, n'est pas du meilleur effet). Elle a tout pour devenir un classique. Elle est, dans tous les cas, à lire absolument. Pour ma part, je suis d’ores et déjà certain de la relire un jour, et je l’espère, de l’apprécier davantage avec le temps. Elle valait bien mon plus long avis jamais publié sur ce site !BDGest 2014 - Tous droits réservés