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ue sait-on aujourd'hui de Carlos Gardel ? Qu'il fut certainement le plus grand chanteur de tango de tous les temps, qu'il vécut en Argentine au début du XXème siècle et qu'il tourna dans de nombreux films à succès de l'époque. Pour le reste, un étrange mystère semble envelopper celui qui demeure un mythe à Buenos Aires. Le lieu et la date de sa naissance sont soumis à controverses. En Uruguay en 1897 ? A Toulouse en 1890 ? Gardel est toujours resté évasif sur le sujet et déclara tout simplement : "Je suis né à Buenos Aires à l'âge de deux ans et demi." Muñoz et Sampayo reviennent dans cet ouvrage sur la vie de cet homme, mêlant faits historiques, personnages fictifs, légende et réalité.
Le récit s'ouvre sur un débat télévisé dont le thème tourne autour de "l'Argentin idéal", Carlos Gardel. Deux hommes, reconnus comme d'éminents spécialistes de la vie du chanteur, s'affrontent et opposent leurs théories. Préférait-il les hommes ou les femmes ? Sa relation avec sa mère, quasi idolâtre, a-t-elle influencée sa carrière ? Quelles étaient ses opinions politiques ? Quel rôle a joué Merval dans la mort de l'artiste ? Les très nombreux flashbacks répondent en partie à ces questions ou du moins tentent d'éclairer les zones les plus obscures. Difficile de comprendre, vu de France, la passion qui peut animer tout un pays d'Amérique du Sud pour un citoyen très vite devenu une gloire nationale et la fierté de tout un peuple.
Difficile aussi de ne pas imaginer Carlos Gardel comme une occasion donnée à Muñoz et Sampayo d'évoquer leur patrie natale, celle qu'ils ont choisi de quitter au début des années 70 pour des raisons politiques. L'histoire est nimbée d'une douce auréole nostalgique quand le chanteur arpente certains quartiers de la capitale argentine ou quand il s'en éloigne, sur un bateau à destination de New-York. Carlos a beau jouir d'une popularité extraordinaire, le personnage que décrivent les deux auteurs apparaît pourtant bien lisse et sans saveur. Un homme manquant de caractère, timide avec les femmes, faisant les yeux doux aux deux partis politiques du pays, aussi peu recommandables l'un que l'autre. Ce manque de charisme nuit indubitablement au récit dont l'intérêt s'étiole malheureusement au fil des pages. Le trait de Muñoz, plus lâché que sur Alack Sinner par exemple, semble aussi posséder moins de vigueur. Certains visages trahissent une extrême lividité, à la limite de la transparence. Néanmoins, l'ensemble reste d'une grande qualité graphique.
Cette première partie de Carlos Gardel vaut surtout pour le voyage spatio-temporel que proposent deux auteurs amoureux de leur pays d'origine. Plus en tout cas que pour le destin d'un homme dont beaucoup de lecteurs auront du mal à se passionner. Le deuxième volet de l'histoire devrait porter sur le mystère entourant la mort du chanteur, de quoi susciter, peut-être, un regain d'intérêt.