T
ruman Capote, quelque peu blasé de sa vie mondaine au sein de l'élite intellectuelle new-yorkaise, décide de remiser son confort d'écrivain à succès pour se plonger dans l'ambiance morbide d'une petite ville du Kansas secouée par le massacre de la famille Clutter. Il va tenter de se fondre dans ce milieu pour comprendre les raisons de ce drame et y puiser la substantifique moelle de ce qui deviendra : De sang froid, son roman de "non-fiction". Désillusion et grand bouleversement seront au rendez-vous. Après ce voyage, il ne sera jamais plus comme avant.
Des images de polar américain classique viennent très rapidement à l'esprit lorsque l'on évoque le massacre d'une famille et l'enquête qui peut s'en suivre. Cortège macabre et sanguinolent de scènes plus spectaculaires les unes que les autres, gyrophares à gogo, courses poursuites et forces investigations devant se succéder pour aboutir à une fin évidente ou surprenante. C'est tout l'inverse ici. La fin est connue puisque le roman a bien été édité et a connu le succès attendu, les coupables sont arrêtes dès le 1er tiers de l'album et de l'enquête il n'est point question. Non, tout réside dans la capacité de Truman Capote à intégrer les codes d'un milieu qui lui est totalement étranger et à en ressortir suffisamment grandi intérieurement pour en tirer un roman hors norme, extraordinaire et salvateur pour son processus de création.
La dimension est donc beaucoup plus psychologique, plus proche de Twin Peaks dans la forme, pas sur le fond car l'ambiance n'est pas comparable, que d'un quelconque polar à vulgaire happy end. Si le premier tiers laisse dubitatif, en raison de la crainte de voir les auteurs se contenter de décrire la maladresse du distingué Capote en territoire "hostile", le départ de Nelle, sa meilleure amie, va correspondre au choc indispensable au nouvel élan de Truman. Abandonné, il va tout reprendre à zéro. Commence alors la lente intégration et la descente aux enfers pour y puiser l'inspiration. Revisiter les scènes de crime, visualiser les meurtres, côtoyer de trop près les criminels et s'inspirer de la présence presque réelle de Nancy Clutter qui deviendra sa seule amie au Kansas. Cette "rencontre" sera déterminante et bien sûr troublante, y compris pour le lecteur…
Tout cela ira trop loin pour l'écrivain, incapable d'assister à l'ultime acte de ce drame. Trouver ses limites n'est-il pas une fin en soi ? Truman a semble-t-il découvert les siennes. Pas sûr que ce fut son objectif le jour où il débarqua à Holcomb, Kansas. Son retour à New York n'effacera pas toutes les traces de son passage dans la petite ville de province. Ande Parks (Union Station) l'avoue dans la postface : si l'histoire est vraie, il a pris la liberté de modifier les comportements de certains protagonistes. Pas question de lui reprocher, les personnages sont beaux et sa touche y est peut être pour quelque chose.
On pourrait penser que le graphisme est accessoire. Ce serait faire fausse route. Chris Samnee réalise un dessin en noir et blanc très précis avec un soin particulier apporté aux ombres et à la lumière, élément indispensable à l'ambiance inquiétante qui ponctue une grande part de ce récit. Le découpage est des plus classique mais il est rendu dynamique par un cadrage "cinématographique" approprié, rendant le tout presque haletant.
Capote in Kansas ne laissera pas indifférent et ne pourra que donner envie de lire (ou relire) De sang froid. Ceux qui ne voudront pas faire cet effort pourront se rabattre sur le film de Richard Brooks adapté du roman. Pour rester dans la continuité de l'album de Parks et Samnee, il est possible de se plonger dans une biographie de l'écrivain américain (le scénariste recommande particulièrement Capote de Gerald Clarck et Truman Capotede George Plimpton) ou encore d'aller voir le film Capote de Bennett Miller qui sort prochainement.
>> Voir la preview de Capote in Kansas
La preview
Les avis
mougenot
Le 17/11/2006 à 21:52:28
Vraiment séduit par ce roman graphique. En temps qu'inconditionnel de la première heure de ce cher Truman, et d'autant plus fan que je suis fou de De Sang-froid, il est certain que j'allais être vraiment pointilleux et sévère en cas de "dénaturation" du travail de Capote. Pari risqué donc de s'atteler à ce travail; mais je dirai pari réussi. Un graphisme en noir et blanc profond et expressif; un scénario linéaire et juste, qui creuse la psychologie des personnages. Seul petit bémol: la longueur. Non pas que Capote in Kansas est trop long, mais trop court. On ne s'en lasse pas, et je pense que 120 pages, c'est un peu juste, mais bon...Une très bonne bd, dans le parfait style américain que j'affectionne tt particulièrement.