Résumé: Alain Delambre est un cadre de 57 ans anéanti par quatre années de chômage sans espoir. Quand l'opportunité d'un entretien d'embauche pour un grand groupe s'offre à lui, il n'hésite pas à s'impliquer corps et âme dans la méthode de recrutement quelque peu étrange : un jeu de rôles sous forme de prise d'otages, qui tourne mal et le fait se retrouver en prison.Incarcéré dans l'attente de son jugement, il tente de justifier ses actes auprès de l'opinion publique, et de maintenir les liens avec sa famille dévastée par le drame. Ses méthodes interpellent cependant les industriels responsables de sa situation : et si Alain Delambre avait tout planifié dès le début... ?
A
lain Delambre, cadre au chômage, participe à un exercice de recrutement particulièrement odieux, d’autant plus qu’il a appris que les dés étaient pipés. Au terme de l’activité, il sort une arme à feu et prend tout le monde en otage. La police intervient, l’arrête et l’emprisonne. En attente de son procès, le délinquant écrit un livre dans lequel il se raconte. Bien que l’opinion publique bascule, sa famille se délite. Le trame a un air de déjà-vu ? Tout à fait, puisque la bande dessinée Cadres noirs et la série télévisée Dérapages sont inspirées du même roman de Pierre Lemaître.
Pascal Bertho présente une véritable radiographie de l’univers politique, financier et médiatique. L’inculpé n’est finalement plus le chômeur, mais la structure sociale. Exxyal Europe, à laquelle le protagoniste s’attaque, incarne un libéralisme économique dans tout ce qu’il a de froid et abject. Les financiers tirent les ficelles, manipulent la justice et s’assurent d’arriver à leurs fins. Le récit s’interroge également sur la place démesurée qu’occupent le travail et la réussite dans la construction de l’identité des individus.
Le scénario est très bien construit, l’auteur distille petit à petit les détails et la trame, au départ relativement longiligne, se densifie. D’une révélation à l’autre, le héros apparaît complexe et nuancé ; ce dernier se montre du reste plus en phase avec la société qu’il ne le laisse croire. Il en maîtrise les codes et en fait usage. Au final, l’histoire rappelle une partie d’échec où il faut parfois sacrifier une pièce pour mieux frapper par la suite.
Giuseppe Lotti propose un dessin semi-réaliste aux tendances expressionnistes. Dans un style cinématographique, l’artiste met habilement ses illustrations au service de la narration. Dans ce projet aux allures de duel, les gros plans de visage se multiplient. Une abondance de petites vignettes, incrustées dans une grande, insistent d’ailleurs sur la réaction des acteurs. Les planches sont, du reste, truffées « d’images dans l’image » : écrans de télévision, d’ordinateur ou de téléphone, de même que photos apportant un point de vue complémentaire sur les événements.
Une adaptation convaincante d’un roman qui a su capter une époque. L’anecdote n’est pas sans évoquer Le couperet de Donald Westlake.