Résumé: Lorsque le cadavre d'un jeune homme recouvert d'écailles de poisson est retrouvé dans un container de pêche, le Commando Caïman est chargé de l'enquête. Bruno Brazil et le Nomade remontent ainsi la piste du corps jusqu'à Eskimo Point. Ils réalisent rapidement que les ours polaires sont loin d'être les créatures les plus hostiles du lieu. Et que, pour laisser la neige recouvrir les secrets de cet étrange cadavre, certains sont prêts à les refroidir plus vite que le climat local…
L
e corps d’un jeune homme est retrouvé dans une cargaison de brochets dans le port de pêche de Boston. Felipe « Gaucho » Morales et Whip Rafale se rendent à la morgue, le lendemain de la découverte, pour une démarche qui devrait relever de la routine. Gaucho y est agressé par deux hommes cagoulés qui emportent une dépouille. La dextérité de Whip au volant – elle a trouvé un véhicule adapté à son handicap – les met hors d’état de nuire, mais aussi inaptes à répondre à quelque question que ce soit. L’enquête est ouverte au World Security International Office. Qui était ce garçon ? Pourquoi a-t-on voulu dérober son cadavre ? Qui a payé les deux ex-dockers pour effectuer cette tâche ? Le plus stupéfiant est que son épiderme était recouvert d’écailles par endroits et que ses veines étaient remplies d’oxygène. Le défunt a subi des modifications génétiques. Pendant que Morales et Rafale enquêtent sur son passé, Bruno Brazil et Tony Nomade partent à Eskimo Point, dans le territoire Nunavut, lieu d’embarquement du chalutier.
Bruno Brazil naquit dans le Journal de Tintin en 1967, de l’union du scénariste Greg, dont la bibliographie donne le vertige, et du dessinateur William Vance (qui dessinera XIII). La série a compté dix albums et dix histoires courtes avant de s’interrompre en 1983. Les nouvelles aventures de Bruno Brazil font leur apparition en 2019 sous la houlette de Laurent-Frédéric Bollée au récit (Apocalypse Mania, Terra Australis, La Bombe) et Philippe Aymond aux pinceaux (Canal Choc, Lady S.). Terreur boréale à Eskimo Point en est le troisième volume. Derrière ce titre un rien racoleur et excessif se développe un one shot fort bien construit et mené. Le cadre de la série-mère est respecté : l’histoire se déroule en 1977, avec ce qu’il reste du Commando Caïman. L’aventure est au rendez-vous et chacun des personnages conserve ses attributs physiques et psychologiques.
L’enquête comporte deux pans, celui des États-Unis et ses recherches dans les dossiers du passé et celui du Nunavut, avec ses confrontations nettement plus physiques et brutales. L’un et l’autre alternent et s’entremêlent, donnant à la trame narrative un dynamisme de bon aloi, entre suspensions temporaires et relances de l’intrigue. Les retours en arrière évitent également toute linéarité. Le lecteur est ainsi baladé des messages étranges diffusés par l’interprète en langage des sourds et malentendants du bulletin météo télévisé local à un orphelinat cachant bien des secrets, d’un sous-marin pris par les glaces, en 1945, lors d’une mission secrète à des manipulations scientifiques délirantes, d’un jeune handicapé shaman à une colonie d’ours blancs fort sympathiques. Le motif du savant fou, à la fois éculé et efficace, côtoie une mise en valeur louable du handicap et de la différence.
Le graphisme de Philippe Aymond est juste et à sa place. Il sert parfaitement les personnages, leurs interactions et l’enchainement des événements. Il s’inscrit délibérément dans une veine classique, celle qui sied le mieux aux aventures de l’homme aux cheveux blancs et à son équipe de corps cassés, mais à la puissance intacte. Voilà encore une reprise digne d’intérêt.