Résumé: On est au théâtre. Ce soir-là, Norman a rendez-vous avec Brunilda. À 21h précises. Pour se rendre à son dîner, Norman doit traverser la scène, ce qu’il ne peut faire qu’une fois le rideau baissé. Oui mais voilà : le dramaturge – aux aspirations trop ambitieuses – n’arrive pas à clore l’histoire. À son bureau, ce n’est pas l’angoisse de la page blanche qui l’assaille, mais plutôt un mur qui se dresse, bien trop imposant, bâti avec l’aide perfide de sa mauvaise conscience.
«
À 21h à La Plata, alors ? »
L’invitation est lancée, le rendez-vous est fixé. Ce soir, Norman dînera avec Brunilda. Ses collègues de boulot, au théâtre, sont bouche bée… Un rencard avec Brunilda, c’est quelque chose d’exceptionnel. Dans ce lieu où chacun a une tâche bien précise à accomplir, ce petit évènement apporte un peu de distraction. Les questions fusent et chacun y va de son conseil avisé, au sujet du plat à choisir ou de l’attitude à adopter. Mais un obstacle de taille fait rapidement irruption. Pour se rendre à La Plata, il faut sortir par la porte située à l’opposé de la scène sur laquelle le rideau n’est pas tombé depuis des jours ! Le dernier acte est encore bien loin…
Une rencontre rendue impossible à cause d’un dramaturge incapable de terminer sa pièce. Pas crédible une seconde et pouvant se résumer sur un post-it, l’intrigue de cet album a tout du rêve dont le souvenir vaporeux saisit au réveil. En apparence décousu, truffé de petites incohérences, assez inexplicable mais qui, tel qu’il a été vécu, semble avoir sa propre logique d’ensemble. Il n’est, dès lors, pas étonnant de découvrir que c’est précisément un songe qui inspira Genís Rigol pour ce qui constitue sa première incursion dans la bande dessinée. Et le résultat est aussi surprenant qu’extraordinaire, dans tous les sens du terme.
Retranché dans son immense bureau, le dramaturge est dans l’impasse. Obsédé par l’idée d’écrire un chef d’œuvre, l’homme est empêtré dans un conflit intérieur, dressé face au mur de sa conscience. Il s’autosabote, se dénigre constamment et tyrannise le reste de la troupe qui s’affaire pour le contenter en attendant désespérément d’en terminer avec cette représentation. Pris en étau entre rigueur apparente et improvisation permanente, l’auteur est perdu… L’histoire aborde ainsi, de manière assumée, la difficulté de la création et le poids que peut représenter la quête du travail parfait. Des réflexions auxquelles un bon nombre d’artistes – notamment en BD – peuvent être confrontés. En creux, bien d’autres sujets peuvent être identifiés tout au long de cette pièce de théâtre dessinée. À cet égard, il est permis de s’interroger quant à l’attitude du personnage principal, enclin à chercher des solutions sans jamais sembler s’impliquer suffisamment pour les voir aboutir.
Récit à tiroirs et faisant intervenir une galerie riche et jouissive de personnages, Brunilda à La Plata marque aussi par la qualité de la mise en scène et le dynamisme des pages. Le trait peut sembler simple, un poil naïf, même. Mais les décors sont foisonnants et impeccablement travaillés, avec une exigence géométrique constante. Hommage à l’art dramatique, l’œuvre en est aussi un beau au Neuvième et à son histoire. Avec leurs accents de Sunday pages, qui sautent immédiatement aux yeux, les planches revisitent le style de Winsor McCay (Little Nemo in Slumberland) ou encore George Herriman (Krazy Kat) avec respect et une remarquable tendresse.
Abouti et sans fausse note, fruit d’un travail long et patient, Brunilda à La Plata est une première bande dessinée d’une grande élégance à découvrir d’urgence.