Info édition : Format 183 x 260 mm. Couverture souple avec rabats.
Résumé: Jeune agrégé de philo, Pierre Bourdieu est appelé pour son service dans les premières années de la guerre d’Algérie. Démobilisé deux ans plus tard, il retournera cette épreuve malheureuse contre elle-même, restant à Alger malgré la guerre pour y enseigner la sociologie. Pris d’amour pour un pays qui lui rappelle ses propres origines rurales, il étudie les transformations brutales de cette société, découvrant la sociologie tout en apprenant à mieux se connaître lui-même. Comment cette expérience a-t-elle fait du jeune Bourdieu un sociologue porteur d’un regard à la fois empathique et critique, attentif à toutes les formes de domination ? Comment peut-elle nous aider à mieux comprendre une Algérie aussi familière que méconnue ?
Aujourd’hui, nous partons sur ses traces, à la recherche de la genèse de cet intellectuel majeur, qui a révolutionné la sociologie.
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lus de vingt ans après sa disparition, les travaux de Pierre Bourdieu (1930 – 2002) continuent d’être utilisés et cités en exemple à travers la planète. Sociologue majeur de la deuxième partie du XXe siècle, ses analyses des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales ont fait date. Son engagement, particulièrement lors des mouvements de novembre-décembre 1995 (réformes Juppé), sont également restés dans les mémoires. Pour Pascal Génot (Le printemps des quais, Sans pitié), il s’agit d’un modèle, humainement et intellectuellement. L’envie d’en faire le sujet d’une BD le titillait depuis longtemps. Encore fallait-il trouver un angle pour aborder un tel monument. Cette opportunité, il a commencé à l’entrevoir en Algérie, où il participait à un festival culturel. En effet, Pierre Bourdieu avait été, comme une majorité des jeunes de sa génération, envoyé de l’autre côté de la Méditerranée pour effectuer son service militaire, au moment où les «évènements» se transformaient en guerre d’indépendance. Après ses deux ans dans la grande muette, il décide de rester sur place. Il arrête sa thèse à Paris et est nommé professeur à l’université d’Alger. Il rédige alors une série d’études innovantes sur le rôle de la colonisation dans l’évolution de la société algérienne.
Voici une entame intéressante, ces années ont marqué le sociologue. De plus, il ne s’était jamais vraiment étendu sur cette période d’intense travail d’investigation, il y a donc matière à défricher et à raconter. Dix ans de voyages, d’interviews avec les derniers survivants et d’exploration documentaire dantesque (les archives d’État couvrant cette révolution n'ont été déclassifiées qu’en 2022) auront été nécessaires au scénariste pour finaliser Bourdieu – Une enquête algérienne. Une somme biographique et historique seulement comparable aux œuvres de Joe Sacco. Une citation remplie de sagesse de l’auteur de Gaza 1956 sert d’ailleurs de conclusion à l’ouvrage.
Même après un demi-siècle, les relations entre la France et l’Algérie restent tendues. Printemps arabes, Hirak, attentats islamiques, émigration, ce ne sont pas les sujets de friction qui manquent. Précis et soucieux d’offrir un portrait le plus honnête possible, Génot prend le temps de tout expliquer et de tout remettre en contexte. Visites sur le terrain à la recherche de témoins et de lieux emblématiques, reconstitutions historiques, extraits et citations, rien n’est laissé au hasard. Il en résulte un album dense, surchargé (sans être étouffant) qui, au prix d’une lecture attentive, se révèle passionnant et révélateur.
Docu-BD de la plus haute tenue, Bourdieu – Une enquête algérienne est une réussite indéniable, tant sur le plan de son écriture que de sa réalisation graphique. Un livre indispensable pour tous les sociologues amateurs et les curieux d’histoire contemporaine.
Les avis
Erik67
Le 19/06/2024 à 07:18:22
Voici un livre tout à fait intéressant sur Pierre Bourdieu, l'un des plus grands sociologues de notre pays. Je ne le connaissais pas particulièrement ce qui m'a permis de combler encore une de mes nombreuses lacunes.
On va s'intéresser surtout sur la relation particulière qu'il a eue avec l'Algérie notamment pendant la guerre d'indépendance et puis après. On sait que ce pays a dû subir une décennie noire avec une guerre civile qui a fait des milliers de victimes. Aujourd'hui, un pouvoir fort dirige ce pays avec une absence manifeste de démocratie et de droit d'opinion.
Cependant, pour Bourdieu, c'est la France qui est en grande partie responsable de ce qui s'est passé en Algérie ce qui va dans le sens de ce pays libéré de son colonisateur. Il faut dire que l'occupation a duré près de 130 ans (1830-1962) après 4 siècles où ce pays était dirigé par l'Empire Ottoman. Bref, c'est un jeune pays qui a encore beaucoup à apprendre.
Pierre Bourdieu s'est beaucoup engagé politiquement après avoir révolutionné la sociologie moderne. Parmi les concepts qu'il a développés, on trouve celui de la reproduction de la hiérarchie sociale. Il est vrai que je ne peux lui donner tort quand j'observe ce qui se passe autour de moi. Il y a par exemple un véritable « privilège culturel » qui caractérise les étudiants issus des classes les plus favorisées.
Par ailleurs, il défend le fait que la réalité du monde social ne repose ni sur les individus ni sur les groupes, mais sur les relations entretenues entre ces éléments. Pour lui, la religion ne joue pas de rôle. Il fallait oser.
Visiblement, c'est le passage en Algérie alors qu'il était un appelé pour pouvoir y rétablir l'ordre colonial que Pierre Bourdieu va avoir une véritable vocation pour la sociologie. Sa région de prédilection sera d'ailleurs la Kabylie. Après la guerre d'indépendance, il resta à Alger pour y enseigner à l'université et publier son premier ouvrage de sociologie.
C'est toute cette période de sa vie qui est relatée dans cette BD de Pascal Guénot, lui-même docteur en sciences de l’information et de la communication. Cela insiste sur le fait que ces années ont été déterminantes dans la construction de la pensée de Bourdieu. Le passé algérien est minutieusement décortiqué.
Mon bémol proviendra de la forme car cette BD est immensément bavarde et on peut se perdre dans les méandres de toute cette pensée. Un peu plus d'aération aurait sans doute été plus profitable au lecteur. Il faut être aguerri avant de s’embarquer dans une telle lecture hautement intellectuelle. Vous voilà prévenu !