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our de l’An. L’heure des visites pour le médecin de garde dans un service ORL qui accueille essentiellement des malades du cancer. Entre chaque chambre, l’occasion lui est donnée de se souvenir de moments, d’expériences marquantes, de certains patients également. Mais pas moyen d’échapper au traditionnel « Bonne santé », fatalité incurable de circonstance.
Voilà le genre d’album qui dès qu’on le referme laisse plutôt désarmé et tout juste capable de produire un maigre : « Beau récit servi par un trait brut mis en valeur par des jeux d’ombres impeccables. Quelques moments plus anodins ne sauraient ternir les autres, profondément touchants». Même si cette concision a le mérite de ne rien dévoiler de l’émotion du lecteur, c’est un peu court et ça ne rend pas justice à la valeur de l’album déjà accablé par un résumé qui laisse présager une austérité rédhibitoire.
Masson maîtrise à merveille l’art de la voix off qui s’inscrit en décalage avec ce qu’il nous donne à voir. Bien sûr, un lien existe, au minimum ténu, entre le verbe et le dessin. Mais le procédé exprime surtout avec une grande efficacité l'idée de ces pensées qu’on ressasse, dont on n’arrive pas à se débarrasser, qui nous poursuivent où qu’on aille, quoiqu’on fasse. Jusqu’au moment où on éprouve la nécessité absolue de les confier, de trouver l’âme bienveillante voire complice qui saura écouter. L’endroit privilégié pourra a lors être l’alcôve, qui donne lieu dans le cas de Bonne santé à de belles scènes restituées avec justesse. Ou bien ces réflexions continueront de trotter dans la tête comme des ritournelles obsessionnelles.
Pourtant armé de la plus hermétique des « carapaces » (passage décalé qui devrait marquer quelques esprits), convaincu de maintenir la plus grande distance possible pour ne pas être atteints par la condition de ses patients et du sort qui les accable, ce médecin surjoue parfois son rôle. Il fanfaronne, il déconne, il dissimule ses émotions, il se cache, il ment pour éviter de dire à certains ce qu’ils ne veulent surtout pas entendre (maîtresse comme patiente). Le moment du face à face avec soi-même fait pourtant partie de ces rendez-vous qu’on ne peut pas infiniment reporter. Là à moins d’essayer de se mentir à soi-même, il est temps de convenir que l’accumulation de cas et d’évènements a façonné l’homme.
Un nouvel album remarquable de la précieuse collection Ecritures de Casterman.
Les avis
Her-Mimine
Le 19/04/2015 à 23:44:46
Etant du corps médical, ce livre m'a beaucoup touchée parce qu'il reflète ce que peut vivre autant un patient qu'un soignant. Effectivement, c'est triste, ça parle de mort mais c'est parceque c'est un peu le quotidien - surtout en oncologie- mais il y a de beaux moments.
On y pleure, on y rigole, on y prend beaucoup de plaisir !
Hugui
Le 13/04/2010 à 20:01:44
Certains écrivent des livres pour éviter une psychanalyse, le docteur Masson dessine des bds. Plutôt bien d'ailleurs, le noir et blanc est plutôt réussi et le procédé de la voix off en décalage avec le dessin est intéressant.
Mais sa vision du métier et de la lutte contre le cancer, sa lassitude du quotidien et des habitudes, et le manque d'humour et d'empathie pour ses patients fait que l'ensemble est un peu sinistre.
Après cette lecture, on a plutôt envie de lui conseiller de changer de métier et de se consacrer totalement à la bd en trouvant des scénarios plus drôle, il a le talent pour les réussir.
BIBI37
Le 13/01/2010 à 19:56:47
Décevant.
D'autant plus qu'en temps qu'oncologue j"attendais beaucoup de cette série décrivant la souffrance des patients/médecins.
Je n'y ai rien trouvé qui reproduirait la réalité quotidienne de nos cabinets médicaux.
Tout juste y trouve t-on une vision plutôt satyrique du monde médical.
Les dessins sont horribles et ne reflètent jamais la souffrance de nos patients.
J'y ai préféré Oscar et la dame rose d'Eric Emmanuel Schimdt plus proche de notre quotidien.
A oublier.
1/10.
zaaor
Le 10/02/2007 à 17:25:09
Une bd qui est dure et demeure accrochée un peu dans le fond de la gorge. On ne désire en aucun cas devenir malade et être confronté à ces êtres qui font tout pour nous guérir mais qui se doivent de se construire une carapace de robot émotif.
Comme un sentiment négatif persiste à la suite de la bd, elle doit faire mouche. Sinon, sitôt la dernière page tournée, on l'aurait déjà oubliée...
edgarmint
Le 15/11/2005 à 12:36:10
Chroniques hospitalières ou plutôt rapport avec la mort, avec son attente, les incertitudes quelle peut engendrer...
C. Masson raconte ici plusieurs petites annecdotes où il exprime le blindage dont le milieu hospitalier, notamment dans ces services où la mort est moniprésente, doit s'équiper. Prendre de la distance face aux événements (la visite du 1er de l'an - d'où le titre - exprime parfaitement ce décalage entre les propos tenus et les pensées du médecin), certes, mais aussi ponctuellement se prendre une terrible claque d'impuissance face à la maladie. Il évoque aussi les relations soignant/patient qui sortent pour une raison x ou y de ce seul cadre.
Point particulièrement fort de cette BD, l'évocation, voir un soupçon de prise de position sur l'euthanasie qui est bien un problème de "terrain".
Une BD qui comme "soupe froide" n'a rien de bien léger, mais qui est une belle évocation de ce monde vu de l'intérieur.
yvantilleuil
Le 02/11/2005 à 09:59:51
Charles Masson fait tout pour sauver des vies et quand il n’y parvient pas, il nous en parle via la bande dessinée. Charles Masson est également un menteur professionnel, mais malheureusement ces récits et anecdotes correspondent bien à la réalité.
Dans "Soupe Froide" il faisait parler ceux à qui on ne donne jamais la parole, ici il parle de ceux qui ne parleront plus jamais, ceux qui arrivent à l’hôpital avec leur cancer, leur pyjama et leur pantoufles.
Tout comme dans "Soupe Froide" il nous parle d’une injustice et il le fait souvent avec un certain sarcasme et humour noir qui peut choquer mais qui se prête à merveille dans ce genre de situations où il est nécessaire de se former un carapace vis-à-vis du malheur. Eh oui, c’est dur la mort, mais quand c’est la fin d’un cauchemar on relativise.
Tout comme à la fin de "Soupe Froide" on aimerait bien crier « Saloperie de monde ! », mais à l’instar d’un reproche à la société on trouve dans ce nouveau récit une légère mise en question de Dieu, car tant d’horreur inutile peut finir par faire douter.
Le récit est un peu moins fluide que dans "Soupe Froide" car divisé en 6 anecdotes/chapitres. Le dessin est toujours assez brut mais efficace et souvent merveilleusement décalé par rapport à la narration.
Et si certains ont déjà du se rendre dans un hôpital début janvier en détournant le regard de ces gens qui se promènent en peignoir et pantouflent et qui sentent la mort, Charles Masson, lui, regarde la mort en face et lui souhaite une "Bonne santé" !