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émoin et acteur unique des bouleversements sociaux traversés par la société française durant la seconde partie du XXe siècle, George Wolinski (1934 – 2015), que ce soit par ses dessins ou son travail éditorial, a marqué son époque. Autobiographie posthume, Le bonheur est un métier retrace cette vie marquée par les drames, l’encre et le papier, de sa naissance dans l’harmonieuse Tunis d’avant-guerre aux balles des terroristes lors de ce matin funeste du 7 janvier 2015.
Pour diriger et « scénariser » ce livre (comme elle l’écrit sur le faux titre), Virginie Vernay a pioché dans la vaste bibliographie du dessinateur. Planches, éditoriaux, extraits d’entretien et entrées de journal intime rythment les différents chapitres. Cette approche, très respectueuse, consistant à s’appuyer uniquement sur les mots de l’homme s’avère à la fois intéressante et frustrante. Intéressante, car Wolinski réagit sans fard et exprime simplement joies et colères. Il est le seul maître à bord et assume tous ses choix, particulièrement ceux qui ont pu étonner ou choquer ses amis (sa carrière dans la publicité, son engagement à L’Humanité avant de finir à Paris Match, etc.). En revanche, le manque d’introduction ou de mise en perspective des documents pourraient gêner certain lecteurs peu au fait du paysage médiatique français. De plus, le manque de rigueur dans les légendes et les nombreuses répétitions gâchent passablement la lecture.
Reste la trajectoire, le talent, le côté visionnaire et la curiosité de l’artiste : ses premiers travaux marqués par Will Elder et Mad Magazine, son changement radical de style après avoir rencontré les gens d’Hara Kiri (spécialement Cavana, son mentor et ami), sa pige de dix ans aux commandes de Charlie Mensuel et ses efforts infatigables pour faire connaître des auteurs méconnus ou oubliés. Il revient aussi, sans aigreur, sur l’incompréhension provoquée par sa nomination au Grand Prix à Angoulême en 2005. Et, finalement, toujours présents au fil des années, ses doutes continuels à propos de son art, ses peurs face au temps qui passe et à la crainte de ne pas savoir profiter du moment présent donnent un côté infiniment touchant et universel à l’ouvrage.
« 2015. Est-ce le bon chemin ? Je ne le saurai qu’à la fin... »
(légende de l'ultime carte de vœux réalisée George Wolinski)