Résumé: Une jeune femme se souvient. De son enfance dans les années 1990, de sa soeur, son frère et surtout ce père étrange et taciturne qui dort, regarde la télévision et fume sans presque jamais dire un mot... Le lecteur découvre une vie de famille faite de non-dits et de colère, et il comprend peu à peu les discriminations subies par ce père racisé qui peine à trouver du travail. Dessinant avec un trait minimaliste et une palette réduite à différentes gammes de bleu pour figurer l'époque du récit, l'Espagnole Nadia Hafid, elle-même d'origine marocaine, montre la diversité des liens et dessine avec pudeur une idée essentielle : celle de tenter de faire famille malgré tout.
À
la table d’un bar, une femme regarde fixement le verre de vin posé devant elle. Tentée de le vider, elle l’abandonne et sort. Dehors, en grillant une cigarette, elle se souvient.
Enfant, dans les années 1990, elle partage ses jeux avec sa sœur, puis avec un petit frère. Leur père est généralement affalé dans le canapé du salon, devant la télévision allumée, ou couché dans la chambre parentale. Quand il se lève, en se trainant, c’est pour boire. Parfois, il s’affaire, mais cela ne dure jamais et préoccupe leur mère qui se coltine le ménage en rentrant du travail.
Le temps semble s’étirer indéfiniment dans Le bon père, premier album de Nadia Hafid, publié en France par Casterman. Cette impression est renforcée par la mise en image de l’artiste espagnole d’origine marocaine. En effet, celle-ci présente quasiment toujours le même cadrage frontal et recourt à une juxtaposition de cases dans un gaufrier sans gouttières qui donne l’impression d’assister à un film au ralenti. Le dessin minimaliste – exprimant toutefois les émotions des protagonistes par quelques traits accentués - et la bichromie en nuances de bleu contribuent également à cet effet étrange. Cependant, si une certaine lenteur imprègne les planches, ces dernières se tournent vite, car l’action reste limitée. La lecture s’avère donc rapide, à moins de s’attarder sur la décomposition des gestes et l’ambiance confinée, pesante de non-dits et de ressentis oscillant entre l’ennui, la résignation, les ruminations silencieuses et la colère. Car, dans ce huis-clos familial, le propos décortique les liens qui s’étirent, les déconvenues d’un couple à l’épreuve du chômage de l’époux. Il évoque également les discriminations à l’embauche, la baisse de l’estime de soi, le poids de l’inaction, le basculement dans une certaine incurie. Couronnant le tout, apparaît la nécessité de maintenir l’illusion d’une cohésion familiale. Les illustrations en disent finalement aussi long, voire davantage, que les quelques échanges succincts.
Le bon père déroute un peu par sa forme dépouillée en mode slow motion, mais son sujet, traité avec retenue, ne manquera pas d'interpeller.