Résumé: Véritable prodige ayant grandi dans un milieu modeste à Brooklyn, Bobby Fischer devient à 14 ans le plus jeune champion d'échecs des États-Unis. Jusqu'à son titre de champion du monde en 1972 où, en pleine guerre froide, il bat le Russe Boris Spassky, mettant ainsi fin à la suprématie soviétique, il révolutionne son art. Mais au lendemain de cette victoire spectaculaire, à moins de 30 ans, adulé par le monde entier, il décide de mettre un terme à sa carrière et sombre dans la démence. Il entame alors une vie d'errance qui le conduira à l'exil, lui qui avait pourtant été porté
en triomphe par les Américains.
Ce roman graphique retrace la destinée chaotique et fascinante d'un génie sacré Roi des échecs avant d'en devenir le Fou.
B
obby Fischer commence à peine l’école primaire lorsque sa sœur achète un jeu d’échecs. Le garçon se révèle tout de suite doué. Sa mère inscrit alors le solitaire dans un club New-Yorkais, du reste interdit aux enfants (et aux femmes). Son talent est rapidement remarqué. Au fil des ans, il s’impose face aux champions locaux, puis mate ceux des États-Unis. Ne manquent plus que les Soviétiques, lesquels règnent sur la discipline depuis la nuit des temps. En 1972, fantasque, capricieux et avide de gloire, il l’emporte contre Boris Spassky, avant de disparaître et de se perdre dans les théories du complot. Vingt ans plus tard, il sort de sa tanière pour se mesurer au même adversaire, à Belgrade. Il y démontre qu’il demeure le meilleur et empoche une somme rondelette. Son pays lui avait cependant interdit de se rendre en Yougoslavie. Menacé d’arrestation, il est condamné à l’exil. Il fait ensuite parler de lui de temps à autre, pour hurler sa haine de l’Amérique et des Juifs (même s’il en est un), puis meurt, seul, en 2008.
Wagner Willian adopte une approche chronologique et s’en tient essentiellement à l’activité professionnelle du héros en insufflant toutefois beaucoup de rythme et de dynamisme dans la description des duels. La présentation des autres dimensions de la vie du personnage aurait néanmoins permis de mieux comprendre ses motivations et ses comportements. Bien qu’il n’insiste pas sur les problèmes mentaux du protagoniste, ceux-ci se lisent en creux : passion dévorante, isolement social, caprices de diva, divagations, besoin de reconnaissance maladif, délire de persécution… Il y a forcément quelque chose qui cloche.
Le scénariste évoque la guerre froide, mais sans plus. L’affrontement contre le maître russe ne peut pourtant pas être isolé du climat sociopolitique de l’époque. Le début des années 1970 marque un redoux dans le face-à-face entre communistes et capitalistes (l’auteur affirme l’inverse, aux historiens de trancher). Alors que les belligérants signent des traités et que les militaires se veulent discrets, le champ de bataille se métamorphose. Quelques jours après le sacre du gamin de Brooklyn, Berlin (ville où se cristallise toute la tension entre les blocs de l’est et de l’ouest) accueille les Jeux Olympiques. Au même moment, de l’autre côté de l’océan, le Canada et l’Union des républiques soviétiques socialistes s’affrontent au hockey sur glace dans la série dite du siècle. Tout cela trois ans après que Neil Armstrong et Buzz Aldrin ont planté leur drapeau sur la Lune. Bref, quand l’Américain tente de mettre échec et mat le tenant du titre, au-delà de la joute intellectuelle, deux visions du monde se confrontent.
Il y a peu à dire sur le travail de Julian Voloj. Son dessin réaliste, en noir et blanc, ça va de soi, est simple, mais efficace. À quelques reprises, il s’amuse à présenter des illustrations allégoriques, par exemple en transformant les passants en fous et en cavaliers ou, à l’inverse, en montrant le paladin cherchant à sauver sa peau sur un damier géant.
La biographie, un peu sage, d’un homme qui ne l’était pas du tout.