Le 26/05/2021 à 16:56:46
A l’instar d’Hergé, Joseph Gillain (1914-1980), plus connu sous le pseudonyme de Jijé, fut l’un des plus grands noms de la bande dessinée belge au point que depuis le 26 mai 2003 la ville de Bruxelles compte son Musée BD Jijé. Auteur de plusieurs séries comme Jojo, Freddy Fred ou bien Jerry Spring pour ne donner que quelques exemples, Jijé s’est fait connaître avant tout par les épisodes des aventures de Blondin et Cirage, deux amis inséparables, l’un blond, l’autre noir, comme le suggère leur nom respectif, qui vivent de nombreuses aventures policières mais aussi fantastiques dans l’épisode des soucoupes volantes. Créée en 1939 dans le magazine catholique « Petits Belges » – ce qui explique les références à des Saints et à des personnages bibliques et le fait que les deux héros soient des scouts –, cette série disparaît quelques années plus tard, en 1942, car les religieuses estiment que les albums dissipent les enfants… Après un long séjour en Amérique et au Mexique, Jijé reprend ces héros au début des années 50 (cinq volumes de 1951 à 1955) avant de se concentrer sur la série « Jerry Spring » qui sera une des premières grandes bandes dessinées européennes axées sur l’Ouest américain. Jijé publie donc en 1952 les aventures de Blondin et Cirage au Mexique . Le scénario est très dense mais peut se résumer de la manière suivante. Conchita, une jeune fille orpheline, doit partir au Mexique afin de retrouver son oncle Henri (ou Enrique). Alors qu’elle se trouve dans l’avion privé qui la conduit en Amérique, Monsieur González, son tuteur, essaye de la tuer mais c’est sans compter l’intervention opportune de Blondin et Cirage, réfugiés et cachés par mégarde dans l’avion. Après avoir échoué sur la côte mexicaine, nos héros décident de ramener Conchita chez son oncle mais tout a changé. Ce dernier est aux portes de la mort, le médecin et l’infirmière sont des sbires de González et l’on apprend rapidement que les conspirateurs recherchent le trésor de don Roberto, le père d’Enrique. González, qui a réussi à fausser compagnie aux policiers qui le tenaient prisonniers et a éliminé ses associés, ne cesse de jouer de mauvais tour à nos amis avant qu’un serpent mortel ne le pique mortellement. Finalement, la clé de l’énigme se trouve sur une inscription du tableau préféré de don Roberto : « Primo avulso non deficit alter » (« le premier arraché, il y en a un autre »). Sous une partie de la toile, les jeunes gens découvrent la lettre suivante : « En prévision des temps troublés qui s’amorcent, j’ai forgé de mes mains secrètement la rampe de l’escalier d’honneur de mon hacienda. Elle est en or massif dissimulée sous la peinture. Elle constitue toute ma fortune, que je lègue à mes héritiers. Don Roberto ». Grand connaisseur du Mexique, le tableau que Jijé nous offre de ce pays et de ses habitants est très réussi. On retrouve toujours les célèbres cactus, les églises coloniales, les mariachis qui distraient les fêtes, les habitants aux vêtements blancs et aux larges sombreros mais il ajoute des détails qui ne sont pas courants dans d’autres bandes dessinées. Il signe ainsi un magnifique dessin représentant un maguey ou agave, une plante magnifique à la couronne foisonnante constituée de feuilles acérées. Cette plante est très importante pour les Mexicains car sa sève fermentée entre dans la composition d’un alcool très prisé, le pulque. Sa consommation provoque parfois des troubles publics ce à quoi fait référence l’officier de police lorsqu’il interroge l’homme qui a perdu son âne et sa récolte de la semaine : « Et vous n’avez pas pu vous garer ? Vous aviez bu un peu trop de pulque, sans doute ? ». Autre référence peu fréquente, celle du zopilote dans le nom de la rue où habite le peintre. Ce mot qui provient du nahuatl tzopílotl renvoie à un oiseau rapace et charognard au plumage noir irisé. C’est une sorte de vautour très présent au Mexique. Enfin, Jijé illustre parfaitement les fameux taxis jaunes mexicains (des Coccinelles), les trains verts, les ambulances ou bien l’hacienda de San Luis Potosí au Nord de la capitale. Par ailleurs, il fait référence aux temps troubles de la révolution mexicaine. A l’instar de la description du Mexique, l’espagnol est très bien employé, tantôt dans des phrases françaises (« « il faut raconter cela à la jefatura amigo » ; « la femme avait un rebozo rouge sur la tête ») ou, plus souvent, en rapportant directement les propos des personnages sans prendre la peine de les traduire (« ese muchachito es amigo mío » ; « no puede caminar » ; « yo no sé nada, señor »). Seules deux fautes peuvent être relevées dans le prénom et le surnom de deux des personnages, Alonzo (au lieu de Alonso) Pérez, et pépé au lieu de pepe. Mais tout cela n’est pas bien grave car Jijé réussit à nous transmettre ici une image du Mexique tel qu’il l’a connu et aimé, sans jamais tomber dans un travers courant, à savoir la caricature. Nicolas BalutetBDGest 2014 - Tous droits réservés