L
e petit monde de Blanche est étrange. Hors de son quotidien, fait d’abattage de poulets par centaines, de gâteries forcées prodiguées au patron pour avoir la chance de conserver sa place et de contrôles de Police inopinés, ses journées ne sont qu’une succession d’humiliations. Et ses nuits ne sont guère plus réjouissantes, peuplées de cauchemars absurdes et glauques… Mais Blanche tient le coup, s’accroche à son travail, continue les gâteries, jusqu’au jour où… Elle craque.
Wetta frappe fort en sortant cette œuvre détonnante, d’une brutalité excessive. L’auteur, Sonngu Kwon, imagine un monde délabré, dans lequel les Etats-Unis d’Amérique seraient occupés, colonisés même, par la Chine. La vie déprimante des petites gens est ici décrite en diagonale, offrant un terreau fertile pour le défoulement libérateur qui suivra. Un simple aperçu des méthodes des gardiens de prison, résolument nazis, absolument sadiques, permet de se faire une idée plus précise de l’endroit où Blanche met les pieds.
Blanche, jeune femme un peu paumée, subit des pressions de toutes part : son emploi difficile, son patron obsédé sexuel, ses rêves hallucinants... Mais elle s’accroche, consciente que sa vie pourrait s’effilocher au moindre faux pas, dans ce pays militarisé à l’extrême. La deuxième partie du livre s'engage dans un délire grotesque, peuplé de monstres, de tentacules et de mutants tueurs. Où s’arrête la réalité ? Où commence le rêve ? Les réponses seront probablement données dans les volumes suivants, mais une chose est certaine : Blanche est déphasée, sa place n’est pas dans cette société hiérarchisée à l’excès, elle le découvrira bien vite.
Le graphisme de cette série va dans le sens de l’histoire et de l’ambiance nécessaire : sombre, abrupt et glauque. Il navigue entre le manga d’horreur (Dragon Head serait une bonne comparaison) et le comics indépendant (Crumb, pour faire court), avec cette touche de réalisme desséché qui apporte la crudité nécessaire à cette histoire de fou.
Une œuvre troublante, décrite par l’éditeur comme un « trip sado-masochiste », dont on ne sait trop où elle va aller dans les volumes suivants tant l’ensemble du livre est impossible à anticiper. La suite nous dira si nous sommes en présence d’une bombe ou d’un simple pétard mouillé… Un premier tome intrigant, si ce n’est envoûtant, dans tous les cas.