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Vienne, en 1908, Dimitri, chanteur d’opéra montant, fête l’anniversaire de la fiancée de son ami d’enfance, la belle Agnieszka dont il est secrètement amoureux. Le lendemain, le jeune homme se fait renverser par un cheval. Laissé pour mort, il se réveille pourtant mais s’aperçoit bien vite de menus changements. Ses soupçons augmentent après une vague de suicides inexpliqués parmi les membres de sa troupe. Un certain Maximilien l’éclaire : il est devenu un vampire et ne peut échapper à sa nouvelle condition qu’en procréant. Atterré, Dimitri décide d’agir immédiatement, sans succès. Un siècle plus tard, à Tokyo, l’histoire semble se répéter. Azusa, une enseignante, tente désespérément de surmonter son amour pour Koya, un de ses élèves. Un accident de voiture les précipite aux portes de la mort. Dans le coma, la jeune femme fait un étrange pacte avec un homme mystérieux qui lui promet de sauver son amant si elle lui confie son âme…
Le mythe du vampire a été si souvent utilisé et galvaudé que les auteurs qui s’y attaquent semblent ne plus pouvoir créer de surprise. Setona Mizushiro (L’infirmerie après les cours, X-Day, Le jeu du chat et de la souris) y parvient cependant. Point de suceurs de sang aux dents longues, point de gorges immaculées offertes au caprice de monstres pour étancher leur soif. La mangaka imagine au contraire des êtres qui s’approcheraient plus des végétaux, en y mêlant toutefois la présence d’insectes généralement peu ragoûtants et d’éléments classiques du thème comme la force et les pouvoirs singuliers des vampires. Même les moyens de contamination, de se nourrir et de mourir sont revisités sur un mode relativement poétique. Les spores d’un de ces striges décédant lors de la procréation s’implantent ainsi dans d’autres êtres et ce sont certaines tonalités vocales, aiguës, qui poussent les gens à se suicider pour fournir le sang frais nécessaire à la nutrition. La fascination est bien présente, la domination aussi, mais elles se veulent moins bestiales, plus complexes, plus raffinées.
La première partie de Black Rose Alice présente donc à la fois le personnage principal, Dimitri, torturé par un amour impossible en raison d’une différence de caste sociale trop importante, ainsi que le vampirisme vu par l’auteure. La longue introduction de Setona Mizushiro met en place les éléments de la tragédie, imminente, et amorce des pistes pour la suite de l’intrigue. Ménagée avec brio, l’intensité dramatique ne cesse d’augmenter au fil des pages pour aboutir à un dénouement, certes attendu, mais superbement amené. La seconde partie fait pénétrer dans le vif d’un récit qui s’annonce dense et promet de jouer largement sur une psychologie fouillée, à l’instar des autres titres de la mangaka. Le lecteur y retrouve quelques thématiques chères à celle-ci, comme la recherche de l’identité, la peur de se (re)connaître, toutes deux en lien avec la sexualité et avec le passage à l’âge adulte. Les personnages, aussi bien Dimitri, qu’Azusa, Koya ou Agnieska, se révèlent attachants et le premier particulièrement charismatique. L’histoire s’appuie également sur le trait reconnaissable de Setona Mizushiro, élégant, fin et qui joue beaucoup sur les expressions et les émotions.
Lecture agréable, ce premier tome de Black Rose Alice ouvre une série riche en promesses pour la suite.