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aurent-Frédéric Bollée et Boris Beuzelin proposent un polar noir dans les règles de l’art avec Black Gospel. Des flics au bout du rouleau coursent un meurtrier au sein d’une Amérique qui n’a jamais vraiment digéré la lutte pour les droits civiques. Seulement, une fois n’est pas coutume, le racisme n’est pas l’unique moteur de la bestialité et le Mal trouverait même ses racines dans le camp des opprimés. Une sale affaire, comme disait l’autre.
Un scénario qui se déplie sur trois, voire quatre époques, un coupable connu dès le départ, des litres de mauvais café et une distribution qui sait aller au-delà des stéréotypes, l’album plonge le lecteur dans un dédale implacable et à la finalité funeste. À partir d’une trame très classique, Bollée a tissé un récit âpre et particulièrement bien articulé. L’ombre tutélaire de Martin Luther King sert d’écran de fumée à une intrigue nourrie par l’histoire longue des relations Blanc-Noirs aux États-Unis et jusqu'en Afrique. De plus, à l’image du duo Jack/Jimmy, les deux inspecteurs en charge, les psychologies se montrent fouillées et font ressurgir toutes les contradictions de cette société déchirée. Comme le veut souvent le genre, l’enquête en devient presque secondaire. L’important se trouve en fait au cœur de la peinture sociale servant de toile de fond à ces crimes.
Le N&B était évidemment de rigueur pour illustrer ce dossier sanglant. Beuzelin s’y attaque avec franchise et beaucoup d’énergie. Malheureusement, entre des influences pas trop bien digérées et un manque certain d’homogénéité d’une séquence à l’autre, le résultat n’est pas toujours à la hauteur de ses ambitions. Le propos est suffisamment fort pour ne pas totalement briser le flot narratif, mais il est impossible de ne pas remarquer, ici ou là, des cases ou des séquences graphiquement «en-dessous». Dommage.
Fort, sec et dur, Black Gospel est également profondément humain. Cette tragédie plus contemporaine qu’il y paraît s’avère être une lecture prenante et haletante, en dépit d’un dessin et d’une mise en scène perfectibles.