L
a lutte pour les droits civiques aux USA a été jalonnée de drames, d’assassinats et de crimes odieux. En 1971, ces droits votés presque dix ans auparavant, peinent à se concrétiser au sein d’une société divisée comme jamais. Dans l’univers carcéral, c’est encore pire. Le racisme règne et les coups de matraque sont là pour le rappeler. Derrière les portes du pénitencier d’Attica (New York), la situation est telle que les prisonniers ont décidé de réagir et ont dressé une liste de quinze revendications ayant toutes un point commun : le respect. Immédiatement, ce mouvement spontané dégénère en mutinerie et en prise d’otages. Après un simulacre de négociations, la réaction des autorités sera sans pitié. L’assaut des forces de l’ordre laissera quarante-trois hommes (dont dix gardes) sur le carreau.
Jared Reinmuth et Améziane reviennent sur ces quatre jours marquant de l’histoire récente des États-Unis. Articulé autour de la biographie de Frank « Big Black » Smith, un détenu devenu un leader majeur pour l’établissement de la vérité à propos des exactions qui suivirent cette émeute, l’ouvrage dresse une chronologie clinique de ces quatre-vingt-seize heures de tension extrême. Si Stand at Attica est une œuvre militante, évidemment à charge, celle-ci n’oublie cependant pas de dresser un portrait, certes accablant, mais réaliste, de « l’autre camp » (accusé, le gouverneur Rockefeller verra son ambition présidentielle marquée à jamais). Les auteurs mettent également en scènes les autres parties prenantes de ce drame devenu affaire d’État : les médias suivent chaques minutes du siège, des groupes de pression comme les Black Panthers proposent leur aide, etc. Plus globalement, outre les conditions de vie des condamnés, c’est le problème central du racisme systémique de toute une société qui est mis de l’avant.
Même remises dans le contexte de son époque, les violences (le calme revenu, Big Black sera torturé en guise de représailles par des matons revanchards) et les mots se montrent insoutenables. Alternant entre un réalisme classique et un expressionniste glaçant, Améziane illustre ces pages avec efficacité et ce qu’il faut de recul. Les balles déchirent les chairs et chaque impact résonne longtemps entre les murs de la maison d’arrêt.
Au mois de mai, la fusillade de l'Université d'État de Kent (cf. Kent State, Derf Backderf, çà et là - 2020) avait donné le ton, 1971 serait sanglant. En septembre, le massacre d’Attica ne fera que confirmer ces sombres prémices : il y a quelque chose de pourri chez Oncle Sam. Big Black – Stand at Attica est une lecture dure et directe qui permet de mieux comprendre les racines du mal qui ont récemment fauché Georges Floyd.