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ien ne prédestinait Dariel Alarcón Ramírez à devenir Benigno, révolutionnaire cubain, compagnon du Che en Bolivie, proche du pouvoir castriste, puis opposant en exil à Paris. Rien. Si ce n’est qu’un jour de 1957, il fut pris à partie par les soldats de Batista, le dictateur qui dirigeait alors son pays, pour avoir fourni de la nourriture à des guérilleros. Devant le cadavre de sa femme abattue sauvagement, alors qu’elle était enceinte, le jeune paysan analphabète avait juré de se venger. Mais au cœur de la Sierra Maestra, au contact des Barbudos de Castro, sous la houlette de Camilo Cienfuegos et d’Ernesto Guevara, son désir de meurtre a fini par céder la place à un idéal plus grand : celui de la justice pour l’île caribéenne et au-delà même de ses frontières.
Sept ans après la publication de Benigno : dernier compagnon du Che, dans lequel il avait retranscrit les souvenirs confiés par ce combattant qui a côtoyé certaines des plus grandes figures latino-américaines du XXème siècle, Christophe Dimitri Réveille offre au public la possibilité de découvrir cette vie en bande dessinée*. S’appuyant sur le dessin réaliste en noir et blanc de Simon Géliot qui signe là son premier titre, il déroule le fil d’une biographie dépourvue de complaisance, tout en évoquant une page mythique de l’Histoire : celle de la Révolution cubaine et de ses conséquences. Extrêmement bien documenté, le scénariste suit chronologiquement les événements, agrémentant le récit de coupures de journaux d’époque qui renforcent la véracité du propos, le contextualisent et donnent une idée de la façon dont tout cela était perçu.
La première moitié de l’album est consacrée aux années de jeunesse et de formation de Benigno¸ à son combat pour renverser Batista et aux heures glorieuses de la victoire des insurgés. Elle évoque cependant quelques aspects plus sombres de cette période, notamment la disparition suspecte de l’un des leaders de la rébellion. Ensuite, la narration s’attarde sur le second épisode crucial de l’engagement du héros : sa participation à la guérilla menée par Che Guevara en Bolivie. Si ces deux moments essentiels se cantonnent aux faits et aux actes, sans jamais verser dans l’étalage des émotions, les pages finales, elles, en disent beaucoup plus long et interpellent par la force du témoignage ultime qu’apporte Dariel Alarcón Ramírez. Le regard qu’il porte sur ce qu’il a vécu au plus près, sur le Cuba d’hier et d’aujourd’hui, sur la radicalisation du régime qu’il a contribué à porter au pouvoir, s’avère sans concession et mérite que le lecteur s’y attarde.
« Mes mots resteront armés, hasta la victoria, siempre… », écrit l’exilé, le déraciné, Benigno, survivant du Che qui ne cesse, depuis 1996, de livrer sa vérité. Relayée par Christophe Réveille et Simon Géliot, cette source de première main s’inscrit comme mémoire vive de l’Histoire. Les curieux et les passionnés n’hésiteront pas à se plonger dans l’ouvrage à l’origine de cette BD ou dans les Mémoires d’un soldat cubain publiées par Benigno en 1997.
* Christophe Dimitri Réveille prépare également un film-documentaire en collaboration avec Serge Rosensweig. Produit par les Films d’Ici, il s’intitulera Benigno, le serment de la Quebrada del Yuro.