Résumé: Bella ciao, c'est un chant de révolte, devenu un hymne à la résistance dans le monde entier...En s'appropriant le titre de ce chant pour en faire celui de son récit, en mêlant saga familiale et fiction, réalité factuelle et historique, tragédie et comédie, Baru nous raconte une histoire populaire de l'immigration italienne.Bella ciao, c'est pour lui une tentative de répondre à la question brûlante de notre temps:celle du prix que doit payer un étranger pour cesser de l'être, et devenir transparent dans la société française. L'étranger, ici, est italien. Mais peut-on douter de l'universalité de la question?Teodoro Martini, le narrateur, reconstruit son histoire familiale, au gré des fluctuations de sa mémoire, en convoquant le souvenir de la trentaine de personnes qui se trouvaient, quarante ans plus tôt, au repas de sa communion. Le récit se développe comme la mémoire de Teodoro, tout en discontinuité chronologique. Il y est question d'un massacre à Aigues-Mortes en 1893, de la résistance aux nazis, du retour au pays, de Mussolini, de Claudio Villa, des Chaussettes noires, et de Maurice Thorez... Des soupes populaires et de la mort des hauts-fourneaux... En tout, du prix à payer pour devenir transparent.Avec Quéquette Blues, publié dans les années 80, et les Années Spoutnik, publié au tournant du siècle, Bella ciao peut être vu comme le dernier volet d'une trilogie, pensée comme la colonne vertébrale de l'univers narratif de Baru.
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i]Bella Ciao, deuxième fournée, Due. Toujours en mode choral, auto-fictionnel et auto-biographique, tout en se jouant des chronologies, Baru continue sa description de la diaspora italienne à travers la France, la Navarre et, évidemment, la Lorraine. Il fait revivre la courte et violente destinée de la Légion garibaldienne, décimée dans l’Argonne en 1915, elle était composée de volontaires transalpins arborant fièrement la chemise rouge du célèbre nationaliste italien. Un conflit après, une famille se déchire quand un cousin fasciste admirateur de Mussolini dénonce à la Kommandantur un parent communiste en partance pour le maquis. Cet acte lâche provoquera des rancœurs qui perdureront bien après la Libération. Un peu plus tard, les générations s’affrontent sur fond de rock et de chanson napolitaine. Puis, finalement, amour de la bonne chère oblige, c’est autour d’un «véritable» tiramisu que d’ultimes anecdotes sont partagées afin de nourrir un scénario en perpétuelle élaboration.
Discussion à bâtons rompus où les idées sautent du coq à l’âne, Bella Ciao est une mosaïque narrative, certes un peu disparate, mais dotée d’une vie et d’une présence incontestable. Des forts en gueule champions de la mauvaise foi, des mamas éplorées et des espoirs de retour impossible dans la mère patrie fidèlement entretenus années après années, le créateur des Quéquettes Blues affine ses observations et cerne toujours de plus près son sujet central : comment faire pour s’intégrer dans une culture différente et comment celle-ci arrive-t-elle à «absorber» ces citoyens d’un nouveau genre ? Jamais pour la première génération et lentement avec les suivantes, semble-t-il conclure.
Drôles, truculents, touchants, parfois terribles ou tragiques, mais inévitablement bienveillants et remplis de respect, ces récits illuminent et nourrissent littéralement les questionnements de l’auteur. Sans asséner de leçon, ni jouer au sociologue, le scénariste illustre simplement son propos et montre la complexité de ces cheminements et les déchirements intérieurs de ses personnages.
Œuvre de mémoire et excellente démonstration de la force d’évocation de la bande dessinée, Bella Ciao parle avec un accent du sud prononcé, c’est indéniable. Limiter la série à ce seul thème serait cependant réducteur. En effet, le travail de Baru s’adresse à un public bien plus large. Tout d’abord, à tous ceux qui ont choisi d’aller ailleurs pour mener leur existence (peu importe leur pays d’origine) et également au reste de la population. Comprendre les «autres» et la manière dont les administrations traitent ces nouveaux venus est certainement une des clefs indispensables pour réussir un vivre ensemble enrichissant et apaisé.
Les avis
DCJNM
Le 10/12/2023 à 10:16:17
On retrouve notre famille italienne réunie pour le repas de communion de Teo au début des années 60. Avec d’abord un nouvel épisode méconnu de l’histoire, révélé à travers celle de la chemise rouge portée a demeure par le grand-père de Teo, c’est l’engagement de la légion Garibaldi aux côtés des troupes française dès le début de la grande guerre en août 1914 sur le front de l’Argonne. Très peu de volontaires survivront. Nous voilà ensuite de retour au présent : la communion (presque du Mino – réminiscence d’un album culte de BARU avec son histoire du grand-père et de la taupe), la musique et l’avènement du « roquennerolle » qui bouscule la chanson italienne. Suit le morceau de bravoure de la série et l’histoire de Mortadelle, on rit, on pleure, c’est magnifique, ça dit tant de chose sur l’âme humaine, et chacun de se poser la question : de quel côté aurais-je été pendant la guerre, collabo ou résistant. C’est si facile de choisir après … Et la fête continue, on en oubliera d’aller travailler le lendemain pour fêter Saint Lundi. Et évoquer aussi le mythe du retour, cher à tant d’immigrés, qui bien sûr ne sont venus que le temps d’avoir suffisamment d’économies pour retourner au pays … mais est-ce encore le sien ? Ca parlera beaucoup à tous ceux qui ont eu des parents ou des grands parents venus pour repartir, sans jamais vraiment apprendre la langue, sans vraiment s’intégrer et devenus au fil du temps étrangers dans leurs deux pays. A nouveau l’auteur s’invite, pour nous parler des valeurs paysannes de beaucoup d’immigrés et du tiramisu.
On retrouve toute la force narrative du premier opus, avec ses allers et retours entre le présent et les souvenirs, des dessins et une couleur qui claquent, c’est Maitre BARU au sommet de son art.
Merci Hervé (deux fois) pour cette page de mémoire collective, qui parlera à tous les Ritals, mais pas que.
Yovo
Le 25/03/2023 à 19:02:48
Voici un avis qui ferait sûrement plaisir à Baru s’il le lisait.
En effet, après avoir acheté le tome 1, j’avais posté il y a deux ans un commentaire plutôt amer en expliquant que ça ne m’avait pas donné envie de lire la suite. Je n’avais pas compris l’intention de l’auteur, ni la forme peu fluide qu’il avait donné à son récit.
Malgré tout, je savais Baru absolument sincère dans sa démarche.
Beaucoup trop d’auteurs n’ont rien à dire… alors quand il y en a un, parmi les bons, qui se donne les moyens de développer sa généalogie familiale dans son contexte historique en trois tomes, c’est qu’il le fait par nécessité et ça ne peut que valoir le coup.
Mon instinct me disait donc de persévérer malgré ma déception, et j’ai bien fait de m’écouter !
Ce deuxième épisode est un bijou de truculence et de tendresse. Ce qui n’en n’atténue pas la gravité. La longue et douloureuse histoire de l’émigration italienne est pleine de fantômes et de sacrifices. Baru n’en cache rien mais il le fait avec du cœur, sans jamais s’apitoyer. Il en extirpe la force et la chaleur humaine. Les joies sont simples, la bonne humeur, communicative.
Un excellent album, éclairant et réconfortant. Bravo, et pardon d'avoir douté !