I
gnacio Testadura est un original. Cet ancien médecin légiste vit auprès de sa mère qui porte ses 102 ans comme un charme. Sa passion pour les pigeons voyageurs n’est pas le seul trait singulier qui le caractérise. Non, l’aspect le plus farfelu du vieil homme se trouve dans une pièce de sa maison italienne, à l’abri des regards : un corps en plâtre reconstitué de Benito Mussolini. Pourquoi conserver depuis des années cette dépouille un peu encombrante ? Simplement parce que Ignacio est persuadé que la mort du Duce n’est pas du tout celle qui est racontée dans les manuels scolaires et enseignée aux enfants. Ainsi, il enquête, à sa façon et dans son coin, sur les circonstances exactes de l’exécution du dictateur. Ses recherches auraient pu rester secrètes si un jeune journaliste n’était venu l’interroger sur son autre hobby, la colombophilie. Au fil des discussions, les deux hommes abordent l’enfance du vieux docteur, embrigadé dans les jeunesses fascistes, aussi connues sous le nom de Balilla.
Même si Ignacio est un personnage fictif inventé pour les besoins du récit, sa vie est inspirée de celle du Docteur Aldo Alessiani qui mit en cause les circonstances du décès de Mussolini. Nathalie Baillot a eu l’occasion de le croiser avant sa mort, en 1999, et c’est de cette rencontre qu’est née l’idée de l’ouvrage. Le thème central n’est pas abordé de front et l’entame de cet album de quelques cent quarante pages est un peu poussive. Pourtant, on s’accommode finalement assez vite de ce ton un peu décalé tournant autour du véritable sujet, comme s’il allait brûler les doigts. Les fausses pistes s’enchaînent, d’anecdotes cocasses sur le célibat d’Ignacio à un trafic de drogues auquel ses pigeons ne seraient pas tout à fait étrangers. Puis, l’étau se resserre avec une apparente légèreté qui tranche avec les hypothèses du Docteur remettant en cause, sinon les circonstances de la mort d’un homme, celles qui ont accompagné la mise en place de la République italienne.
Nathalie Baillot, auteure jeunesse, réalise avec Balilla sa première bande dessinée. Elle aborde, avec beaucoup de finesse, un thème peu abordé dans le 9ème Art. Son pastel gras sert remarquablement son récit : les visages, rendus presque flous, semblent témoigner sous le couvert de l’anonymat. De situations amusantes en scènes burlesques, le tout posé sur un fond beaucoup plus grave, elle mène le lecteur par le bout du nez et parvient à captiver son attention de bout en bout. Une réussite.