Info édition : Noté "première édition". En fin d'album, entretien de deux pages avec Kenji Kamiyama : "Babel, c'est quoi ?".
Résumé: Entre amour du livre, réflexions sur la culture et enquête familiale, Narumi Shigematsu offre une oeuvre de science-fiction qui flirte avec l'ésotérisme et dont les pages reflètent en filigrane une grande érudition.Europaris, dans le futur... Alors que les livres reliés sont devenus des antiquités, les connaissances de l'humanité sont désormais numérisées et conservées au sein de Bibliotheca, un réseau virtuel qui a pour objectif de réunir et faciliter la diffusion des informations. Cependant, d'étranges phénomènes semblent compromettre la sauvegarde des données... Aussi, en secret, une équipe de " restaurateurs " a été créée. Olsen, jeune homme à l'enfance trouble, est justement sur le point d'intégrer les rangs de cette élite. Mais au cours de son enquête sur les origines de ces " bugs " informatiques, il pourrait bien découvrir des indices sur la disparition de son propre père...
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uroparis, 2050. Le jeune Olsen s’apprête à fêter ses dix ans. Son anniversaire coïncide avec celui de son père, un chercheur en livres anciens qui travaille pour Bibliothéca, un réseau virtuel dont l'objectif est de réunir et faciliter la diffusion des informations. Malheureusement, un vieil ouvrage confié par des religieux fait apparaitre une force mystérieuse qui prend la vie du papa. Des années après, Olsen intègre une équipe secrète de restaurateurs qui a pour mission de débarrasser Bibliothéca du Palimpseste. Cette mission est chapeautée par les mêmes hommes de foi qui avaient révélé le mystérieux manuscrit...
Narumi Shigematsu fait très fort avec cette histoire en cinq tomes, publiée chez Akata. C'est sa troisième série proposée par cette maison d'édition, après Running Girl, ma course vers les Paralympiques et À nos fleurs éternelles. Toutefois, Babel est son premier manga, prépublié dans le magazine Ikki, et il est très différent de ce que le public francophone connaît de cette dessinatrice. En effet, graphiquement, la mangaka frôle le trait expérimental et le croquis à de multiples reprises, rappelant ainsi les travaux d'autrices des années 1970, comme Moto Hagio ou encore Keiko Takeyama, souvent regroupées sous le nom des Fleurs de l'an 24. Ces mangakas ont révolutionné le shojo tant au niveau de l'aspect visuel que des thèmes s'éloignant des romances à l'eau de rose. Force est de constater que Shiematsu se pose en nouveau bourgeon de ces fleurs. Son trait est tout à tour nerveux, épuré et classique. Elle s'affranchit régulièrement du gaufrier, afin de gagner en dimension et en profondeur sur ses planches, donnant un aspect aérien et presque irréel, en osmose avec le scénario.
Celui-ci offre aux lecteurs plusieurs réflexions. En premier lieu, l'importance des livres dans la transmissions des savoirs. Ceux-ci ont presque tous disparus dans cet univers futuriste, mais ils sont l’objet d'un culte et de soins frôlant l'amour. Le réseau mis en place pour les substituer connaît de mystérieux bugs. Comment ne pas y voir une alerte sur les dangers de la numérisation à outrance des connaissances et de la littérature ? Certes, le côté pratique offrant l'accès à des ouvrages sur une tablette peut être séduisant, mais le contact et la puissance du papier sont inégalables. De plus, les risques informatiques font planer la menace de dommages irrémédiables sur les fichiers, si ce n'est leur disparition totale. L'auteur dénonce cela dès 2012 ! Le dernier aspect est celui de la piété filiale. Olsen perd son père par sa faute, sans avoir pu lui offrir son cadeau et cherche à comprendre ce qui a pu se passer la nuit où il a ouvert ce mystérieux livre. Pour cela, il va embrasser la même carrière que le disparu. La scène d'au revoir avec sa mère est purement déchirante.
Enfin, ce premier tome se termine par une postface du réalisateur Kenji Kamiyama (Jin-Roh). L'idée est qu'un spécialiste du livre ou du registre de la science-fiction, qu'il soit romancier mangaka ou cinéaste, éclaire le manga et ses thèmes par son point de vue. Un véritable bonus.
Un tome qui pose son univers et qui en explore déjà plusieurs facettes, servi par un trait aérien de toute beauté et rare dans le SF-manga actuel. Une série à suivre absolument.