D
ans les Rocheuses du grand ouest américain, la jeune Abigaïl, chercheuse d’or peu servie par la fortune, voit son dernier quignon de pain emporté par le vent. Fort désappointée, elle prend la route pour que justice lui soit rendue et obtenir réparation. Chemin faisant, elle croise un fermier qui la dirige vers Elk Spring, paisible bourgade où officie un homme, moitié rabbin, moitié shérif, qui pourrait bien l’aider. A son arrivée, elle s’enquiert auprès d’un autochtone de l’existence d’un vieux sage. Son interlocuteur, amusé, lui demande s’il ne s’agirait pas plutôt d’un rabbin jeune et fringuant nommé Harvey ! Ou, quand le talent n’attend pas le nombre d'années.
Sciemment basé sur « les contes folkloriques juifs et les récits d’aventures du Far West », deux des monstres sacrés qui ont bercé l’enfance de l’auteur, Steve Sheinkin, Les aventures de rabbi Harvey tiennent néanmoins davantage de La ruée vers l’or que d’Il était une fois dans l’Ouest. De même, l’esprit est plus porté vers un humour pince sans rire, à la croisée des chemins entre comique de situation et bon mot, que vers le commentaire hebdomadaire de la Parasha. Dès lors, ce mariage a priori improbable trouve tout son sens dans un style résolument désuet, appuyé par un dessin d’une grande sobriété. Loin d’appartenir au genre du "muet", la comparaison avec l’univers poétique et comique développé par Chaplin n’a cependant rien d’incongrue : le décor réduit au strict minimum permet de concentrer son attention sur les symboles et les détails visuels. Ces derniers prennent alors toute leur signification au contact du texte. Il en va de même avec la galerie de personnages secondaires qui ne sont que rarement là pour la seule beauté du geste.
Dans ce contexte de décalage permanent, le flegmatique et pragmatique Rabbi Harvey nage comme un poisson dans l’eau. Charismatique et de bon conseil, moins vénal qu’un certain docteur Knock, sa réputation a tôt fait de dépasser les limites d'Elk Spring et c’est de loin qu’on vient lui demander son avis pour tout et pour rien. Et comme à chaque problème une solution, pour peu que l’on se donne la peine de la chercher, Rabbi Harvey sert en quelque sorte de révélateur. Certes, c’est parfois plus compliqué qu’il n'y paraît et ces moments de doute apportent au lecteur d’amusantes plongées dans les pensées bien humaines de ce bougre de Rabbi, mais toujours, quitte à s’engouffrer dans l’absurde, une réponse sera donnée… ou tombera du ciel. Peu importe, le talentueux Steve Sheinkin fait coexister avec bonheur le rationnel et l’ubuesque. Enfin, cerise sur le gâteau, si chaque histoire peut donner à réfléchir le ton n’est jamais moralisateur et, bien au contraire, reste résolument ancré dans le positif et le joyeux.
Ce second tome, dans la lignée du premier, offre un contenu léger, plaisant et intelligent qui lui confère, grâce plusieurs niveaux de lecture, un caractère profondément universel. Qu'on ait, ou pas, en main les cartes pour apprécier certaines subtilités propres à la culture juive.