A
rtiste timide, Shiori passe beaucoup de temps dans les galeries et à la bibliothèque universitaire de son ami Toda. A plusieurs reprises, elle y croise un étudiant qui attire inexorablement son regard. Il s’agit d’un certain Kageyama, jeune gay traînant un passé trouble. Son petit copain a en effet été retrouvé mort et les oreilles tranchées quatre ans auparavant. N’écoutant que son instinct, Shiori tente le sort et cherche à multiplier les rencontres fortuites. Jusqu’au jour où, dans un endroit isolé, elle se fait violer par un inconnu. Arrivé sur place quelques instants plus tard, Kageyama la ramène chez elle et l’incite à parler de son agression. Mais la jeune femme refuse et s’accroche de plus en plus à lui. C’est ainsi que débute une amitié peu commune entre ces deux êtres marqués par le destin, au grand dam de Toda…
Au temps de l’amour marque le retour d’Ebine Yamaji (Free soul, Sur la nuit, Indigo Blue, Love my live et Sweet lovin’ baby) dont le trait sensible et les récits aux accents homosexuels explorent les tréfonds de l’âme humaine.
Cette fois-ci encore, la passion pour le même sexe est évoquée et participe totalement au mystère qui entoure l’un des personnages principaux. A travers la mésaventure irréparable de Shiori, le viol est également mis en avant dans toute sa crudité, mais aussi dans toute son impunité puisque cette femme-enfant, sans le dénier, ne parvient ni à se confier, ni à dénoncer son agresseur, ni à surmonter la peur de l’homme qui s’est désormais installée en elle. En mettant en parallèle l’ampleur de la réaction psychosomatique de l’héroïne brisée dans son intimité et la rapidité, voire le naturel, de l’outrage sexuel, la mangaka souligne la noirceur des cœurs, l’ampleur de leur perversion. La réaction de Kageyama lorsqu’il revoit l’assaillant de son amie puis sa propre possession physique par un autre, expriment largement le cercle vicieux engendré par la violence et la turpitude liée à l’excès des amours tumultueuses. Car c’est bien de la sauvagerie que peut parfois entraîner un sentiment non ou mal partagé dont il est question.
Cependant, ce déchaînement de sentiments extrêmes qui conduit à tous les débordements est largement contrebalancé par le rythme de l’histoire, la poésie qui s’en dégage ainsi que par le dessin tout de douceur, de finesse et de simplicité. L’abîme paraît vertigineux entre ces deux aspects, laissant le lecteur avec une impression aussi singulière que troublante. Charmé par la délicatesse d’un trait fin qui fait des cases autant d’instants intimes dévoilés ou volés, ce dernier ne peut que frémir face à l’extrémisme des situations mises en images.
Sous la beauté de son graphisme éthéré et élégant comme de sa narration toute d’aménité, Au temps de l’amour fait plonger au plus profond de la démesure dangereuse de la passion. D’aucuns apprécieront cet aspect ultra-romantique, d’autres y goûteront moins et le trouveront par trop excessif. L’album n’en reste pas moins de bonne facture et d’une lecture agréable.